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officielle du mouvement de réprobation contre l’évêque de Strasbourg ; mais dans les villes, dans les campagnes, l’hostilité populaire se manifestait de façon bien plus violente : vitres brisées par la foule à Strasbourg au Palais épiscopal[1] ; et, dans le village natal même de Mgr Raess, — ce délicieux petit village de Sigolsheim, blotti, non loin de Colmar au milieu des vignes, dans un vallon verdoyant, au pied des Vosges couronnées de ruines, — la maison patrimoniale du vieil évêque avait été insultée, et ses vignes, des vignes de famille qu’il cultivait avec amour, avaient été arrachées ; si bien que, pour rétablir l’ordre et protéger un prélat qui l’avait si bien servie, l’autorité prussienne dut faire venir à Sigolsheim deux compagnies d’infanterie[2].

Sur les motifs auxquels avait obéi Mgr Raess, les racontars populaires allaient leur train : on lui a offert, disaient les uns, de créer en sa faveur un archevêché réunissant les deux évêchés actuels de Strasbourg et de Metz ; bien mieux, disaient les autres, le gouvernement allemand veut faire de lui le chef des « Vieux catholiques » (une secte schismatique qui recueillait alors, de M. de Bismarck, quelques sourires et quelques faveurs intéressés) ; il deviendrait une sorte de pape in partibus[3].

Contre l’évêque de Strasbourg, les nombreux protestans d’Alsace qui, en vue de leurs revendications nationales, avaient cru devoir donner leur voix au prélat, étaient maintenant dans une véritable fureur, et cette fureur, ils retendaient au clergé tout entier : « Depuis trois jours, lit-on dans une correspondance adressée au Niederrheinische Kurier de Strasbourg, les prêtres sont injuriés dans la ville ; on leur lance à la figure les noms de traîtres, de menteurs ; c’est vous, leur dit-on, qui avez vendu l’Alsace à la Prusse[4]. »

Et pourtant, le clergé lui-même, tout en demeurant, au point de vue ecclésiastique, fidèle à ses devoirs d’obéissance envers son évêque, n’hésitait pas à réprouver ouvertement sa conduite politique et à se séparer entièrement de lui. Les journaux d’Alsace, — tous plus ou moins sous la coupe de l’autorité prussienne cependant, — sont alors pleins de nombreuses lettres de protestation ecclésiastique : « Monseigneur n’a

  1. Temps. 26 février.
  2. Le XIXe Siècle, 2 mars. Lettre d’Alsace. Mulhouse 27 février, 2 mars.
  3. Le XIXe Siècle, 2 mars. Lettre d’Alsace. Mulhouse 27 février, 2 mars.
  4. Reproduit par la République française, 26 février.