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fini. Son clergé, surtout le plus jeune, ne voulut rien savoir et se dressa contre lui en une hostilité ouverte. Dans son plus proche entourage et jusque dans son Séminaire, circula une adresse de protestation indignée. Lorsqu’il mourut, aucun évêque, aucun ecclésiastique alsacien ne voulut prononcer son oraison funèbre ; ce fut le doyen de la cathédrale de Mayence qui s’en chargea ; et, pour que l’incident ne pût prêter à erreur, le Bulletin ecclésiastique du coadjuteur et successeur de Mgr Raess écrivit : « Il eût été difficile pour un Alsacien de prononcer cet éloge funèbre. L’évêque d’Angers, "Mgr Freppel, Alsacien, qui assistait à la cérémonie, n’aurait pu le faire, n’y songea même pas, car il était nécessaire d’étendre un voile sur certains côtés d’ombre dans la vie de l’évêque, côtés que l’histoire, quant à elle, ne pourra jamais voiler ; ces côtés d’ombre, c’étaient ses déclarations devant le Reichstag en 1874[1]. »


V

Si les tristes déclarations de Mgr Raess avaient mérité en Allemagne d’emphatiques et accablantes approbations, c’est avec une fureur enragée qu’y furent accueillies les fières paroles de M. Edouard Teutsch. La presse germanique tout entière écumait : « Comédie ! » aboyait la Gazette de Spener. « Farce ! » hurlait plus haut encore la National Zeitung ; et la Norddeutsche Allgemeine Zeiung, mêlant le miel adressé à Mgr Raess au fiel destiné à M. Teutsch, écrivait : « Le silence respectueux avec lequel les quelques paroles du vieil évêque de Strasbourg ont été écoutées prouve suffisamment avec quelle attitude le Reichstag allemand eût accueilli une digne expression des sentimens alsaciens-lorrains… C’est malgré elle que l’assemblée a cédé publiquement à l’irrésistible impression comique que produisit sur les diaphragmes le tragique surexcité de ce bouffon, lorsqu’il déclamait et gesticulait au nom de l’Alsace-Lorraine. À ce député qui porte un nom respectable. Teutsch, un nom qu’il s’efforçait de démentir et de renier, sa langue maternelle pouvait-elle ne pas être familière ? L’accent étranger qu’il s’était donné en commençant son bredouillement

  1. Allgemeine deutsche Biographie. Leipzig, in-8o, 1888. Article signé J. Friedrich.