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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/324

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Or, les déclarations de M. de Moltke ne sont certainement point faites pour tranquilliser l’Europe, et l’on peut voir qu’elles ont jeté, chez toutes les nations de notre continent, une inquiétude justifiée…

« M. de Moltke a raison de dire que ce que l’Allemagne a conquis en six mois par la force, elle sera obligée de le défendre par la force pendant cinquante ans. C’est là ce qui a jeté une sorte de consternation dans l’Europe, et partout l’on s’écrie : « Quoi ! Cinquante ans, un demi-siècle sous les armes ! La « culture abandonnée, l’industrie, ruinée, la civilisation violemment refoulée, les enfans élevés pour le carnage, l’humanité renvoyée à l’état barbare, voilà ce qui nous est réservé !… « La France n’a pas autre chose à faire que d’attendre en trait vaillant, en produisant, en réparant ses forces, et en laissant « les autres nations sentir et calculer le poids de la puissance « qui l’a remplacée[1]. »

Au bruit de baïonnettes et de canons soulevé par M. de Moltke, l’Europe en effet commençait à prêter une oreille inquiète ; la « paix » qu’il proposait ne séduisait personne ; l’Allemagne, disait-il, devait l’« imposer ; » or, sur la douceur de cette contrainte, le récent martyre de l’Alsace-Lorraine et du Sleswig, le martyre plus ancien et plus douloureux encore de la Pologne, fournissaient de trop sanglans témoignages. L’Europe commençait, — la lourde plaisanterie du pédant germanique rédacteur de la Gazette de Spener portait beaucoup plus loin et ailleurs qu’il n’avait cru, — à s’effaroucher singulièrement des galanteries du taureau.

C’est de Russie que partit le premier cri d’alarme : « Les hommes d’Etat et feld-maréchaux allemands, écrivait le journal la Voix, de Pétersbourg, auront beau protester de leur grand amour pour la paix, l’Allemagne n’en joue pas moins avec le feu et désirera tôt ou tard la guerre, puisque nous la voyons, dès aujourd’hui, malgré la prééminence certaine de ses forces militaires, changer son budget, contredire son économie proverbiale pour étendre davantage ses immenses arméniens…

« Le comte de Moltke a fait allusion à la nécessité où l’armée de l’Allemagne pourrait se trouver de faire face en deux

  1. Journal des Débats, 15 mars.