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employé beaucoup de labeur à démontrer des propositions qui nous paraissent évidentes, c’est que les premières affirmations n’étaient pas en réalité si sottes ni les secondes si claires.

Duhem a parlé de ces hypothèses « qu’un siècle contemple comme le mécanisme secret et le ressort caché de l’Univers, et que le siècle suivant brise comme des jouets d’enfant. » Ces tours de roue de la fortune ne doivent pas nous décourager de croire à la vérité scientifique parce que nous reconnaissons ne l’avoir pas atteinte aussi sûrement qu’on le disait ; nous devons seulement en conclure la nécessité de chercher toujours, dans l’air le mieux analysé, l’argon et le krypton qu’ils recèlent. Il n’est pas indifférent, pour les progrès futurs de la thermodynamique, de savoir que, dans la courte période des deux ou trois derniers siècles, la chaleur a été tour à tour, avec la même certitude, une qualité, une agitation de corpuscules sans attraction réciproque, une ondulation, une force vive, un fluide pesant analogue à un gaz, une émission de fluide impondérable, un effet de l’attraction moléculaire, une accélération dans le mouvement de petites billes traversant l’éther, une énergie tombant de degré en degré à la manière d’une chute d’eau et qu’à chaque interprétation nouvelle on s’est cru assuré de tenir la formule définitive, donnant tour à tour avec autant de foi le calorique pour une substance et pour un mouvement, de même que la lumière a été une ondulation pour Descartes, puis une émission pour Newton, encore une ondulation pour Fresnel et redevient une émission.

On aurait tort de proclamer à ce propos la faillite de la Science, attendu que la vraie Science se rappelle sans cesse ses limites ; mais un savant n’a pas besoin d’être bien vieux pour avoir assisté à la faillite momentanée de deux ou trois très importantes doctrines scientifiques qui semblaient assises sur un roc inébranlable : par exemple, la cinétique des gaz et les ondulations. N’ayons donc pas l’assurance naïve d’un Priestley écrivant, à l’heure où Lavoisier allait créer la chimie moderne, que tout était définitivement trouvé en chimie ! Nos théories passeront à leur tour comme les autres ; elles n’auront pas été inutiles si elles ont contribué à coordonner des connaissances, à provoquer des expériences vérificatrices et à perfectionner des lois. Ces alternatives changeantes de la mode scientifique sont bonnes à connaître pour ne pas s’endormir dans l’illusion des