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lités physiques le principe de conservation que l’on a d’abord réduit à la force vive, puis à l’énergie. Ils croyaient que la densité, la sécheresse, la chaleur, la transparence, etc., passaient d’un corps dans ses composés sans modification, de même que pour nous les atomes se retrouvent toujours avec le même poids. D’autre part, ils admettaient des postulats que l’expérience n’a pas vérifiés, comme l’existence de substances allégeantes ayant un poids négatif, repoussées par la terre au lieu d’être attirées par elle, à la manière des répulsions électriques… Mais, tout en argumentant ainsi, ils travaillaient dans leurs alambics ou leurs cornues etpeu à peu s’accumulaient grâce à eux les faits qui ont constitué progressivement la chimie moderne. Du moyen âge à la Renaissance, puis à la science de Lavoisier, il y a une chaîne beaucoup plus continue qu’on ne l’admet d’ordinaire et non pas de brusques percées de lumière dans la nuit. Duhem a bien montré, pour Léonard de Vinci, cette continuité, en même temps que le rôle indispensable de la critique scientifique ; nous voudrions encore traiter brièvement ce point intéressant d’après lui.

Le grand artiste italien a été un si prodigieux génie encyclopédique que l’on a eu une tendance naturelle à exagérer son rùle et à se le représenter comme un « autodidacte, » produit par une génération spontanée. Duhem, au lieu d’accepter des affirmations vagues, a pris le soin d’examiner minutieusement ces précieux manuscrits où le Vinci notait, au hasard de son imagination, en écrivant à l’envers de droite à gauche avec un mystère d’alchimiste, ce qui lui passait par l’esprit. Il a constaté ainsi, pièces en mains, combien ce précurseur s’était montré d’abord un liseur très au courant de la science scolastique : science qui était, on l’oublie trop, celle de sa jeunesse (naissance en 1452). Par des comparaisons de textes précises, il a pu reconstituer ses lectures, ou du moins la partie de ses lectures relative aux sciences physiques, en surprenant dans un grand nombre de cas le travail de cet esprit toujours en mouvement, qui ne se contente pas d’étudier ses prédécesseurs, mais qui les discute, trie le bon grain au milieu de l’ivraie, superpose ses propres observations aux leurs et finalement en fait des idées nouvelles. Il a montré notamment comment Léonard avait su comprendre les théories de la Scolastique parisienne, disparues en Italie sous l’invasion des traditions aristotéliques et aver-