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ce lien universel dont nous sommes d’ailleurs impuissans à concevoir la nature ni le mode d’action. Si donc un moderne pense à la pluralité des mondes, c’est seulement pour se demander s’il est plusieurs mondes habités. Mais, jusqu’au début du XVIe siècle, la question, discutée avec passion, était tout autre.

Il faut, pour entrer dans la pensée des scolastiques, se figurer, autour du centre terrestre, un certain nombre de sphères cristallines concentriques, dont la dernière portait les étoiles fixes et au delà desquelles il n’y avait plus que quelque chose d’indéfinissable, auquel cessaient de s’appliquer les notions de lieu et de temps. Même avec les complications savantes d’excentriques et d’épicycles imaginées à la suite de Ptolémée pour expliquer mieux les observations, la notion générale restait à peu près la même. Le monde d’Aristote était un monde matériel et limité. On pouvait donc se demander s’il n’en existait pas un second pareil ; mais Aristote s’était prononcé pour la négative ettoute son école l’avait suivi. Sa négation était fondée sur une autre notion qui nous est devenue très étrangère, en sorte qu’il est également nécessaire de l’expliquer : celle du « lieu naturel » des corps.

Quand nous voyons aujourd’hui une pierre tomber, nous pensons qu’elle est attirée vers le centre de la terre, et Newton nous a appris que l’attraction est en raison directe des masses et en raison inverse du carré des distances, que la vitesse croît proportionnellement au temps. Quand nous voyons une flamme monter, nous l’expliquons par l’expansion des gaz que dégage le combustible. Pour un disciple d’Aristote, — et tout le monde, au xive et au xve siècle, était plus ou moins disciple d’Aristote, — il en allait tout autrement. La pierre tombait parce que son « lieu naturel » était au centre de la terre et que tout son corps tendait à se porter vers sa place naturelle pour y demeurer ensuite immobile, n’ayant plus de raison d’agir (étant ce que nous appellerions en équilibre) ; le feu montait parce que son lieu naturel est au haut du monde sublunaire, immédiatement sous l’orbite de la lune. Il n’était pas vrai pour Aristote que le corps fût plus fortement attiré quand il était plus près du centre, attendu qu’il était porté vers ce centre, non par une force attractive comme nous le croyons, mais par sa nature même, laquelle nature ne pouvait être influencée par la dis-