Debussy fait plus de place, attache plus de prix à l’impression passagère, à la sensation quelque peu maladive, qu’à la sensibilité saine, à la claire et forte pensée. Loin qu’il nous tonifie et nous réconforte, il menace de nous énerver, de nous alanguir et de nous dissoudre. N’espérons pas qu’il établisse, encore moins qu’il accroisse en nous la vie et la volonté de vivre. Étant sans consistance, il ne saurait être notre soutien et notre appui. Quand on songe à l’œuvre du musicien qui vient de disparaître, on est tenté de soupirer avec le triste Pelléas, son héros : « Il ne me reste rien, si je m’en vais ainsi. Et tous ces souvenirs, c’est comme si j’emportais un peu d’eau dans un sac de mousseline. » Aujourd’hui plus qu’hier, demain plus qu’aujourd’hui, nous demandons et demanderons à la musique, à la nôtre, de mettre et de laisser autre chose, quelque chose de plus solide et de plus salubre, dans nos esprits et dans nos âmes.
Depuis quelque temps, la mode est venue, ou revenue, d’opposer Gluck à Rameau, pour le lui sacrifier. Voilà, selon nous, une mode assez impertinente. Après la récente reprise de Castor et Pollux à l’Opéra, comme après la réapparition, de dix ans, plus ancienne, d’Hippolyte et Aricie, Gluck, et non pas Rameau, demeure pour nous le maître de la scène lyrique française au XVIIIe siècle, le musicien par excellence, et par définition même, de notre tragédie.
« Tragédie-Ballet, » tels sont les deux élémens, et les deux noms, de l’opéra de Rameau. Bien qu’un reste de ballet s’y mêle encore, l’opéra de Gluck, presque tout entier, n’est plus que tragédie. Il l’est avec une puissance et jusqu’à des profondeurs où Rameau n’atteint qu’en des rencontres trop rares. Poétique ou musicale, la tragédie pourrait prendre pour devise la maxime du moraliste : « Tôt ou tard on ne jouit que des âmes. » Un Gluck nous prodigue,, un Rameau nous mesure cette jouissance-là. Nous n’emportons pas d’une audition de Castor et Pollux le souvenir de personnages, de caractères fortement représentés par les sons. Pollux, Télaïre, Castor, ne nous donnent le plus souvent qu’une faible, une froide impression de vérité, d’humanité, de vie enfin, inégale à l’émotion autrement vive, autrement poignante, que nous cause et nous laisse la figure d’un Orphée ou d’une Alceste, celle d’une Armide, d’un Oreste ou d’une et même de deux Iphigénies. A cet égard, l’aveu d’un apologiste, et non le moins judicieux, ni le moins éloquent, de Rameau, nous paraît significatif : « Il ne peut, » écrit du maître bourguignon M. Laloy, « il ne peut se dissimuler que peu lui importe de savoir