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tonique supérieure, entendue la première de toutes, à la mesure précédente. Ainsi la phrase mélodique est contenue, inscrite dans une octave, entre les deux toniques d’un accord. Ainsi la constitution de la mélodie est en quelque sorte harmonique, et cet exemple, tiré d’une page, de moins que cela, de quatre mesures seulement, nous rend sensible la relation étroite entre la pratique de Rameau et sa théorie. entre sa doctrine et son œuvre.

Dans le même ordre, un peu technique, d’idées un peu abstraites, M. Lasserre encore a très bien montré la façon dont Rameau traite, — harmoniquement, — la matière sonore. « Il la frappe de préférence aux endroits les plus sensibles, à ceux qui répondent à l’appel avec le plus de netteté, de puissance et de plénitude : je veux dire sur ces notes tonales, sur ces accords parfaits que les musiciens faibles ou trop subtils n’osent aborder qu’en hésitant, en biaisant, en équivoquant, parce que le vague ou le flou général de leur discours, en supporterait mal la précision souveraine et le sens tranché, mais que les grands maîtres vigoureux se plurent toujours à faire sonner, sans petites précautions, ni ambages, à coups redoublés et sur de longs espaces, conformément à la décision robuste et à la majesté d’allure de leur pensée. Nul, pas même l’auteur de la Symphonie Héroïque et de la Symphonie en ut mineur, » — ajoutons l’auteur de Fidelio et du grand air de Léonore, — « nul n’a mis plus d’entrain que Rameau dans ce maniement familier et superbe de ce qu’on pourrait appeler les fondamentales du monde des sons[1]. »

Rien de plus juste que cette observation. M. Lasserre l’appuie sur deux exemples empruntés précisément à Castor et Pollux. Maint autre passage du même opéra’ la confirmerait encore : l’entrée de Pollux, vainqueur de Lyncée, avec ses compagnons : le « combat figuré des athlètes » et le chœur qui suit ; l’« air gai » pour orchestre, aux sons duquel « les Spartiates se mêlent avec les guerriers et forment un divertissement de réjouissance. » Sur cette longue série de morceaux, l’accord parfait, d’ut majeur ou mineur, immuable, j’allais dire implacable, règne éternellement. Gounod disait volontiers qu’il aurait voulu se bâtir une cellule dans ce ton-là ; Rameau s’y est construit ici une magnifique demeure, un palais, de grand style classique, à la française. Plus loin (chœurs et ballet, avant l’entrée de Castor aux Enfers), c’est encore sur le fondement de l’accord parfait qu’il édifie de robustes architectures. Mais ce principe, ou ce

  1. M. Pierre Lasserre, op. cit.