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« J’en éprouve peu d’attendrissement ; j’y suis peu remué ; mais j’y suis occupé et amusé ; la mécanique en est prodigieuse[1]. » Si ce n’est pas là toute la vérité, sûrement c’en est une partie. Certes la musique de Rameau fait mieux qu’occuper et qu’amuser : elle « éclate aux esprits, » mais beaucoup moins et beaucoup moins souvent aux âmes. On pourra nous répondre que dans l’ordre du sentiment, ou de l’âme, surtout quand il s’agit de musique, les raisons n’ont que peu d’efficace, chacun pouvant discerner ce qui plaît, ce qui touche, et n’ayant d’autre maître que son propre goût. Et nous en demeurerons d’accord.

Alexandre Dumas fils, croyons-nous, a dit que les femmes sont d’étranges créatures, qui passent leur vie à s’habiller tantôt comme des parapluies, et tantôt comme des sonnettes. Dans Castor et Pollux, elles sont même vêtues comme des cloches, à la mode du temps, du temps de Rameau, bien entendu. Sur la scène de l’Opéra, cela fait un tourbillon, un roulis de paniers, ballons ou crinolines, auquel répond, de plus haut, le balancement des têtes, féminines et viriles, richement empanachées. Le style antique et celui de Versailles se partagent les déçois, dont le premier parut assez beau, les suivans médiocres et le dernier très laid. Il est vrai que le caractère astronomique et zodiacal (les Gémeaux élevés au rang des constellations) en était assez difficile à rendre. Tout de même, et malgré la curiosité d’une « reconstitution » de ce genre, il n’est pas à souhaiter que le Théâtre Français habille ou rhabille en costumes Louis XIV la tragédie de Racine.

Les chœurs et l’orchestre ont été fort bons, solides et précis. L’orchestre de Rameau, où domine le quatuor, et peut-être parce que le quatuor y domine, a même sonné dans la vaste, trop vaste salle, avec une puissance, une plénitude, qu’on pouvait n’en point espérer.

Mlle Germaine Lubin (Télaïre) chante la musique avec beaucoup d’éclat, quelquefois trop, et prononce obscurément les paroles. Très supérieure est la diction de M. Lestelly (Pollux). M. Plamondon, à qui l’oratorio convient mieux que le drame lyrique, est un Castor tout blanc, ou blanc partout, de costume et même de voix. Enfin, en admirant les gestes, et les « pas, » et les bonds de Mlle Aïda Boni, toute blanche elle-même, il nous souvenait de l’avoir vue sous d’autres vêtemens, blancs aussi, le bandeau de son front marqué d’une croix rouge, et nous mêlions au spectacle de tant de grâce, la mémoire de tant de dévouement et de charité.

  1. Cité par M. Laloy (Rameau).