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sous le charbon, comme à la Haye, sous le sable, il y a pour l’Allemagne le problème, l’énigme, l’angoisse de la nourriture. Il faut que l’Allemagne tire de la Suisse comme de la Hollande, et, par la Suisse comme par la Hollande, de l’univers extérieur qui lui est fermé, de quoi subsister, pendant qu’elle donne son suprême effort, et jusqu’à ce qu’elle ait fait pousser dans les plaines fertiles de l’Orient le blé qu’elle n’y a point trouvé.

Glissons sur les détails de la négociation, qui seraient fastidieux, ont empli les journaux, et sont du reste sans importance. Dans les accords qui sont intervenus ou sur le point d’intervenir entre l’Allemagne et la Hollande, entre l’Allemagne et la Suisse, il y a deux choses : il y a ce qui est dedans, et il y a ce qui est derrière. Dans l’accord avec la Hollande, il y a le chemin de fer du Limbourg ; dans l’accord avec la Suisse, il y a ou il y aura l’approvisionnement en charbon de certaines industries helvétiques, au prix fort, par faibles quantités, sous des conditions draconiennes, quelques facilités, rigoureusement réglées, accordées, dans la guerre sous-marine, au ravitaillement de la Confédération par le port de Cette ; dans l’un et dans l’autre, une sollicitation et une pollicitation indirectes de provision alimentaire. On ne veut pas dire que tout cela ne compte pas, mais tout cela, néanmoins, est secondaire. Derrière l’un et derrière l’autre, c’est la neutralité elle-même qui est visée, neutralité de droit de la Suisse, neutralité défait de la Hollande, en tant qu’elle peut être un obstacle aux desseins allemands pour aujourd’hui ou pour demain. Voilà, au fond, pourquoi l’Allemagne a fait ses plus gros yeux et sa plus grosse voix. Le langage qu’elle a tenu, à la Haye et à Berne, celui du moins qu’elle y a fait entendre par ses gazettes inspirées, est à peine croyable, même de sa part. N’est-elle pas allée jusqu’à menacer la Suisse de son super-canon, de son « canonissime, » comme disent plaisamment les Italiens? « Notre canon à longue portée a fait en notre faveur une très sérieuse propagande sur les bords du lac Léman, s’est permis d’imprimer le Tag, qui ne se permet rien sans y être invité ou autorisé. Les gens de Lausanne et de Vevey sont devenus tout à coup fort soucieux. Ils se disent qu’un pareil canon pourrait très facilement tirer par-dessus la Suisse, jusqu’en Savoie, sur la rive française du lac de Genève, et qu’un tel instrument de guerre à Lorrach ou à Waldshut serait un mauvais voisin. » Les gens de Lausanne, de Vevey, et d’ailleurs, n’avaient pas attendu le gros canon pour savoir que l’Allemagne est une mauvaise voisine. Mais ils en sont de jour en jour mieux persuadés, et nous savons, nous,