Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/557

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

la curiosité psychologique qu’elle éveillait en lui, son secret désir de trouver en elle une vraie compagne, ne sont peut-être pas aussi exceptionnels qu’il l’était lui-même, car il les avait soupçonnés chez quelques-uns de ses camarades qui auraient rougi d’en faire l’aveu.

Mais ce ne sont là que des anticipations d’un avenir sans doute assez lointain. Pas plus que deux ou trois socialistes, qui se présentent aux élections et qui d’ailleurs sont battus, ne constituent un parti et n’actionnent la politique sociale de l’Empire, un petit groupe de femmes émancipées et de jeunes gens ouverts à des sentiments nouveaux ne transforment la société. Je ne veux pas dire que ces ferments ne la travaillent pas. Je constate seulement que, depuis une quinzaine d’années, l’évolution morale du Japon a été beaucoup plus lente et, tout compte fait, beaucoup plus sage. Progressistes et conservateurs ne luttent que pour la forme. Les premiers fouettent leur cheval, mais ils ont mis des freins à leurs roues ; les autres ne mettent pas les freins, mais ils ne fouettent pas la bête. Les plus audacieux en théories se conduisent dans leur vie privée comme de vieux Japonais. Les plus rétifs aux influences étrangères ne craignent pas d’en prendre ce qui leur semble utile à l’intérêt du pays. Et quels que soient les changements qui vont s’accomplissant dans les esprits et les mœurs, l’étranger les perçoit d’autant moins qu’il est plus impressionné de l’unanimité avec laquelle tout le Japon s’applique à réaliser ses ambitions nationales.

L’unanimité ! Je ne pense pas que jamais peuple en ait donné plus fortement la sensation. Il y avait à ce moment, au grand parc d’Ueno, une Exposition exclusivement japonaise, dont la mort de l’Impératrice douairière avait compromis le succès. On y perdait beaucoup d’argent, ceux qui en avaient presque autant que ceux qui n’en avaient pas. C’était une Exposition malheureuse et pourtant charmante.

Pavillons, galeries, musées, restaurants, théâtres, tout y était calqué sur le plan des Expositions européennes. Mais on ne remarquait plus cette imitation, tant elle paraissait naturelle. Des étrangers qui n’auraient rien su du Japon y auraient plus appris en une semaine que jadis pendant un séjour de six mois à Tokyo ou à Yokohama. On leur eût enseigné le folklore en leur expliquant les réclames qui, presque toutes, utilisaient les vieilles légendes. Ils auraient passé en revue les héroïnes de