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qui se remplit, du soir au lendemain, de chapeliers, de policiers, de ministres coréens, de soldats et d’eunuques. Les Russes prenaient un air de triomphe ; les Japonais passaient leur dépit sur le dos de la foule, et, selon l’expression coréenne, jetaient à pleines poignées du sable dans la marmite où les Coréens faisaient cuire leur riz. Cependant, la Reine avait été réhabilitée, sa mort annoncée et un deuil public de trois ans prescrit à sons de trompe. Puis on décida la translation au Nouveau Palais de ses cendres et d’un petit os de son genou, le seul reste authentique que des serviteurs avaient recueilli. La veille de la cérémonie, parmi les curieux qui, des fenêtres de la Légation, suivaient les préparatifs, on aperçut le Roi, une jumelle à la main. Un an après, on fit enfin ses funérailles. Son tombeau est tout près de la ville, dans un bois de pins. Au pied du tertre funéraire, l’autel des sacrifices, table de marbre posée sur quatre boules de granit, est gardé par des tigres et des moutons de pierre et par des statues de généraux, casqués et cuirassés, dont les épaules remontent jusqu’à leurs oreilles et qui tiennent leur large épée devant leurs jambes trop courtes. Ce fut là que le 22 novembre 1897 le corps diplomatique assista, toute la nuit, selon les rites, aux dernières funérailles royales de la Corée.

Sur ces entrefaites, le Roi avait, à la grande joie de son peuple, quitté la Légation russe et s’était installé dans le Nouveau Palais. Il s’y était même décerné le titre d’Empereur ; et toutes les musiques coréennes avaient célébré l’indépendance de l’Empire. Mais les uns pensaient que la Corée serait bientôt russe ; les autres, japonaise ; et l’active propagande des pasteurs américains faisait naître des Clubs et des Sociétés secrètes qui prévoyaient déjà l’avènement d’une république. Les idées étrangères rompaient décidément le barrage. Des cours d’anglais et de français étaient organisés ; et le gouvernement jugea bon d’y adjoindre une école de russe. Voulez-vous savoir comment les rudiments de la langue de Tolstoï pénétrèrent en Corée ? Cela vous donnera un aperçu des bouffonneries qui se jouaient à côté du drame.

Le gouvernement coréen avait député quelques ambassadeurs à Vladivostok, chargés de lui ramener un professeur. Le voyage était long et fort peu plaisant. Un soir, les ambassadeurs couchèrent dans une exploitation agricole où travaillaient