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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/576

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Quelques années de domination japonaise, et cette Corée n’est plus reconnaissable. Elle est devenue aussi paisible qu’une île du Japon. Les Japonais ont commencé par la délivrer des bandits et des voleurs qui l’infestaient depuis des siècles. Les petites villes, les bourgs, les hameaux dorment tranquillement sous la protection d’une police toujours éveillée ; et Séoul est purgé des bandes de filous que la Sûreté coréenne laissait opérer tout à leur aise, sans doute parce qu’elle y trouvait son profit. Autrefois, il ne se passait point de nuit où, dans le plus pauvre village, quelque malheureux ne constatât à son réveil qu’il pouvait être encore plus malheureux que la veille. On avait perdu l’habitude de porter plainte, car les doléances n’arrivaient que très difficilement à se frayer un passage à travers la foule des satellites du mandarin. Aussi les progrès de la moralité publique se manifestent-ils par le nombre croissant des procès et des condamnations. L’idée du droit se répand ; la confiance dans les tribunaux se fortifie ; et le silence craintif du dévalisé ne sauve plus le dévaliseur.

Débarrassé de ses bandits, le peuple l’est également de ses nobles et surtout des nobles de Séoul que les mandarins eux-mêmes redoutaient. C’était la caste la plus orgueilleuse du monde, et la plus cynique. Ses gueux innombrables ne vivaient que de parasitisme et de brigandage. Leur demeure était inviolable ; et, quand ils passaient à cheval sur une route, les autres cavaliers descendaient de leur monture. Un vieux missionnaire des temps héroïques me racontait que jadis, lorsqu’il voyageait à l’intérieur du pays, il n’avait pas de meilleure sauvegarde que de se donner pour un noble de la capitale. Dans les campagnes, ce titre lui assurait la même sécurité que le chapeau de deuil dans les villes. Il écartait de lui les importuns et les gendarmes. Un jour qu’il entrait dans la cour d’une auberge, les chrétiens qui l’escortaient se rencontrèrent nez à nez avec les satellites d’un mandarin. Ceux-ci demandèrent aux porteurs de sa litière qui était dedans : « Un noble de Séoul, » répondirent-ils. À ces mots magiques, toute la gendarmerie détala. Quelques jours auparavant, le mandarin de l’endroit avait ordonné à un de ses satellites d’arrêter pour vol l’esclave d’un noble. Le noble avait fait saisir le satellite et l’avait