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ses écoles. Des associations, nous dirions des confréries, shintoïstes et bouddhiques se constituaient dont les insignes préservaient les maisons qui en décoraient leurs murs des visites domiciliaires et facilitaient à ceux qui les portaient leurs relations avec les autorités japonaises. On ne doute point que, sur les trois cent soixante mille presbytériens et méthodistes coréens, ce système n’en amène bientôt deux ou trois cent mille au culte du Shinto, ou ne les ramène à la religion du Bouddha.

Y a-t-il là un sincère désir de relèvement religieux, comme le dit le général Terauchi dans son rapport officiel sur ses trois années d’administration en Corée ? J’y vois d’abord une habileté politique. Le clergé coréen ne peut qu’être reconnaissant aux Japonais de sa réhabilitation ; et les progrès du Christianisme seront ralentis. Mais cette politique coloniale concorde trop exactement avec la politique intérieure du Japon pour qu’on ne soit pas frappé de la conception qui l’anime. Les Japonais ont retiré de leur expérience des nations européennes l’idée que la religion est une force sociale dont aucun gouvernement ne saurait se passer sans s’amoindrir. Cette idée, ils ne l’avaient pas ou ne se l’étaient pas nettement formulée à la fin du XIXe siècle. Parmi leurs dirigeants d’alors, hommes d’État et publicistes, quelques-uns, et non des moindres, ambitieux de s’égaler aux Occidentaux qui leur semblaient les plus hardis et les plus libres, professaient le dédain de toutes les croyances et les tenaient pour des marques d’infériorité. Aussi la plupart des Européens, trompés par les apparences, se persuadèrent que les Japonais étaient le peuple le plus irréligieux du monde. On a écrit bien des sottises là-dessus, mais jamais de plus fortes que celles de l’illustre Georg Brandès qui, au moment où la guerre éclata entre la Russie et le Japon, opposa, dans un article emphatique, aux soldats du Tsar, chargés de superstitions et d’icônes, les soldats du Mikado, affranchis de ces impédiments barbares, et sans autres idoles que de petits arbres fleuris. En réalité, l’armée japonaise emportait au combat plus d’amulettes que l’armée russe. Et les généraux et les hommes d’État avaient souvent les leurs. Après la mort du prince Ito, assassiné en Corée, on sut qu’il ne se séparait jamais d’une petite effigie de Bouddha, et que, pendant la guerre, chaque jour il adressait ses adorations à la divinité de