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la Russie. En. Chine, il a profité des conflits où sont engagés les peuples européens pour avancer ses desseins sur cet immense Empire dont l’intégrité morale n’a jamais été aussi chancelante. Il n’admettra plus qu’aucun gouvernement étranger y parle en maître ; et ses journaux ne craignent point de nous en avertir. C’est lui qui désormais représentera la civilisation occidentale, adaptée aux conditions, aux exigences et aux traditions même de l’esprit asiatique. Cette adaptation n’est pas encore achevée ; mais, depuis le commencement du XIXe siècle, elle a fait des progrès étonnants. J’avais quitté un Japon où tout semblait vaciller : j’ai retrouvé un Japon où tout semble affermi. Nous ne reconnaîtrons pas toujours nos idées et nos institutions sous la forme nouvelle qu’il finira par leur donner : la Chine non plus ni la Corée ne se reconnaissaient pas toujours dans les transformations de l’ancienne culture qu’il leur avait empruntée et qu’il avait assimilée. Tout ce qui s’acclimate au Japon s’y métamorphose. Et les événements travaillent pour lui. Cette guerre, où il est entré comme ses intérêts le lui commandaient et où il n’ira que jusqu’où ses intérêts le lui conseilleront, le rapproche de son but d’hégémonie asiatique aussi vite qu’il s’est dégagé des contraintes de sa vieille civilisation et qu’il s’est élevé au premier rang des grandes nations modernes.

Reste à savoir si son génie sera à la hauteur de sa volonté et de sa fortune. L’intelligence pure me paraît manquer chez lui de force et d’étendue. Toutes les manifestations de sa pensée restent médiocres, fumeuses. En revanche, son esprit réaliste répugne à l’idéologie. Les Japonais n’ont rien compris à la formule de paix « sans annexions ni indemnités ; » et leurs journaux trahissent une indifférence presque complète aux débats sur la « Société des Nations. » Ils ne voient dans les conflits européens que le heurt violent des intérêts nationaux, se défiant des idées de droit et de justice, qui ne sont universelles qu’en ce sens que tout le monde les invoque. Le réalisme vigoureux de leurs hommes d’État s’appuie sur une très forte discipline sociale et sur un patriotisme irréductible. Leur « égoïsme sacré » est soutenu par une acceptation presque unanime du sacrifice de l’individu à l’État.

Ce n’est point à dire que la guerre n’aura pas de répercussion dans leur politique intérieure et qu’ils ne paieront pas leur