Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/628

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le chef suprême auquel aboutissent toutes les nouvelles, de qui partent tous les ordres, centre nerveux et conscient de l’immense organisme lutteur, ne gesticule pas plus qu’un patron dans son cabinet de travail. Il ne saurait, sans compromettre le succès de sa tâche, se porter incessamment sur tous les points du front, comme Masséna dans sa calèche, ou apparaître soudainement, comme Napoléon, en silhouette sombre sur le rouge horizon. Tout se passe dans son cerveau et dans son cœur. Le geste de Bonaparte saisissant un drapeau au pont d’Arcole, de Ney faisant le coup de fusil pendant la retraite de Russie, de Murat sabrant à la tête de ses escadrons, de Napoléon pointant un canon en 1814, de Lannes appliquant une échelle d’assaut à Ratisbonne, de Canrobert dégainant à Saint-Privat, sont de très beaux gestes expressifs, mais désormais surannés. Les chefs d’aujourd’hui ne les font point parce qu’étant inutiles, ils ne seraient plus qu’ostentatoires. C’est tout un thème des anciens tableaux de bataille qui disparait.

La guerre moderne en offre-t-elle de nouveaux ? Voyons donc les nouveautés qu’elle a introduites dans l’action. C’est, d’abord, la guerre de tranchées avec la fusillade dans les fils de fer barbelés. Sans doute, les peintres avaient déjà vu ce spectacle. On lit, dans une lettre écrite par l’un d’eux après une attaque de Chevilly, l’Hay et Thiais : « Les Prussiens étaient sur leurs gardes : ils avaient tendu des fils de fer à quelque distance du sol. Au petit jour, nos compagnies se sont embarrassé les pieds là-dedans et les Prussiens cachés dans des trous les ont fusillés à bout portant… » Et cette lettre, signée d’Alphonse de Neuville, est du 8 décembre 1870. Mais ce qui n’était qu’épisodique lors des dernières guerres est devenu habituel dans celle-ci. Or, le principal effet de la tranchée, ou du trou individuel est non pas de révéler le geste du combattant, mais de le dissimuler à la vue. C’est expressément pour cela que c’est fait. La mine le cache mieux encore. Ce premier trait de l’action nouvelle est donc défavorable à la peinture.

Un second est l’importance de la mitrailleuse. Mais le mitrailleur lui-même est caché, terré, dans ce qu’on appelle son « nid, » et son geste se déploie fort peu. De même, le servant du « crapouillot » ou du lance-bombes. Seule, de toutes les actions nouvelles dictées par la nouvelle tactique, le combat à la grenade offre un thème au peintre. Seul, il dicte un grand