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Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/651

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la révolte spontanée de l’instinct slave des populations, comprenant fort bien que leurs maîtres allemands voulaient les lancer contre leurs frères, et se refusant à cette besogne criminelle. On nous a raconté qu’à Prague, au mois d’août 1914, les conscrits tchèques avaient attaché à leur drapeau rouge un écriteau où étaient inscrits ces deux vers :


Mouchoir rouge, tourne avec nous :
On nous oblige d’aller contre les Russes, nous ne savons pas pourquoi.


Sur beaucoup de points de Bohême et de Moravie, la mobilisation fit apparaître les germes de mauvaise volonté irréductible qui couvaient dans l’àme tchèque contre une guerre antislave : les soldats déclaraient qu’ils tourneraient leurs armes contre leurs officiers et contre les Allemands. C’est au milieu des rébellions, des arrestations et des fusillades que les autorités autrichiennes durent procéder à la mise en campagne des régiments tchèques. Jusqu’à la fin de 1916, le refus d’obéissance y fut comme endémique. Les détachements tchèques qui traversaient la ville de Prague pour être expédiés au front étaient escortés de troupes allemandes ou magyares en nombre double : défense aux passants de leur parler ou de leur sourire ! le salut de l’Etat était à ce prix.

Une fois arrivés aux tranchées, les Tchèques montrent bien par leur attitude que toutes ces précautions n’ont servi de rien, qu’on n’a pas pu, qu’on ne pourra pas les transformer en défenseurs d’une Austro-Allemagne qu’ils détestent. Le 11e régiment (de Pisek) refuse de marcher sur Valjevo, en Serbie, et est canonné par l’artillerie hongroise. Le 35e (de Pilsen), à peine débarqué du chemin de fer, passe dans les lignes russes. Le 36e (de Mlada-Boleslav) se mutine dans les casernes ; le 88e, en essayant de se rendre aux Russes dans les Carpathes, est fusillé par la garde prussienne et les honveds magyars. Après la seconde bataille de Lvov, les troupes tchèques s’ingénient à transformer la défaite en désastre, sèment la panique, s’enfuient jusqu’à Olomouc, voire jusqu’à Prague.

La reddition du 28e (de Prague) est particulièrement célèbre. Elle a eu l’honneur d’une flétrissure spéciale, que lui a décernée François-Joseph dans un ordre du jour lu à toute l’armée. 2 000 hommes s’étaient livrés aux Russes, le 3 avril 1915, avec armes et bagages, musique en tête, et, sans plus attendre,