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Chez d’autres, il est un corollaire mathématique ; pour eux, l’atteinte, ce point d’intersection de l’espace par le temps, est une anomalie qui ne saurait causer de permanente alarme.

Chez d’autres, il se fonde sur une croyance : le Paradis leur est promis et les attire.

D’autres conviennent que la vie est douce, mais n’ont aucune raison de croire la mort moins agréable.

D’autres sont hardis parce que c’est dans le danger qu’il est le plus savoureux d’être gai.

Pour certains, le courage est fait de l’amour même du danger.

Telles sont les diversités qui s’offrent au commentaire. Mais le courage n’est que l’expression visible de ce que chacun a d’honneur.


L’ARRÊT DANS LE CHOC

Octobre 1915.

Ils arrivaient au but : la vague d’assaut allait déferler contre la tranchée ennemie.

Pour l’attaque, on avait choisi l’heure trouble des aubes d’hiver qui, ce matin, après une nuit pluvieuse et interminable de solstice, s’encotonnait de moiteur. L’air était chargé de buée, une fumée d’eau traînait sur la terre spongieuse ; les couleurs s’indiquaient par masses foncées dans la lumière diffuse.

Ils étaient sortis en silence des parallèles où ils se tenaient depuis une heure, serrés en une longue file frissonnante et glacée ; ils avaient rampé jusqu’à la bordure d’un champ de betteraves, puis, au coup de sifflet, s’étaient lancés sur la prairie qui restait, à franchir, à un tel train que les balles n’avaient pu mettre en loques le rideau galopant.

Enivrés de leur course heureuse, ils abordèrent le remblai. Une boue liquide bavait de la terre rejetée, où leur élan s’englua. Ils gravirent la courte pente en peinant des genoux et se profilèrent à la crête, à bout de souffle et sans erre, oscillant.

A leurs pieds, tout près, émergeaient à mi-corps du fossé plein d’ombre des figurants à capotes vertes, immobiles dans des poses confuses, épaulant, coudes levés, avec le geste gauche des enfants que l’on va battre. Les assaillants regardaient cela,