d’agir sur ceux qu’il approchait, comme une force modelante. Un rayonnement émanait de lui qui ne s’éteint pas avec lui.
Songeant à l’influence que moi aussi j’ai reçue, j’en sonde pieusement la profondeur amie. Si ma mémoire venait à faillir, cet irrécusable gauchissement que je mesure sans jalousie et qui est son œuvre, garantirait sa survivance. J’en suis répondant comme d’une chose confiée que je transmettrai à mon tour, car ce qui est né de la vie veut, pour s’affirmer, peser sur les esprits déformables.
Sans doute comptait-il sur le genre de fidélité auquel je parviens maintenant, lorsqu’il m’a dit, quand je soutenais sa tête où le sang tarissait : « On peut mourir de tout son cœur pour ce que l’on préfère seulement. » Et il y avait dans son regard ce mélange d’ironie et de ferveur qui était lui.
Saurais je, pour ceux qui ne guideront pas ce regard, commenter le testament de Baltis ? Il est allusion à tant de livres que nous avions lus ensemble, à tant de choses que nous avions dites, ou pensées sans qu’il fût besoin de les dire.
Baltis semblait avoir collectionné toutes les raisons d’indifférence qu’enseigne la vision intelligente du monde et des êtres. Entre les aspects divers et les dogmes opposés, son esprit s’insinuait comme une eau, ayant pour moyen la fugacité et pour tendance la profondeur. Il avait parcouru l’enclos de la terre, et l’on aurait pu croire qu’il s’était attardé partout, tant sa curiosité était avide, et forme l’appréhension de son regard. Il s’était promené longtemps aussi dans le jardin des idées, où la fièvre magicienne de l’homme a épuisé les métamorphoses, et dans celui des arts, plus ordonné, enseignant avec une sincérité plus évidente, et des preuves moins passagères. C’est là qu’il avait appris à composer de ses admirations changeantes, la définition de plus en plus serrée de son goût.
Mais le plaisir qu’il prenait à comprendre et à thésauriser ne l’avait point fait avare. Il ne redoutait pas d’être dupe en se donnant et se dépensant dans l’action et les ardeurs généreuses. N’ayant rien négligé de ce qui est formel ou vivant… mieux encore que les professeurs d’indifférence, il avait pu réaliser cette diffusion de la connaissance où doit respirer l’éclectique.