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REVUE LITTÉRAIRE

L’AUTEUR DE LA PREMIÈRE « NÉMÉSIS »

UN PHILOLOGUE : ÉDOUARD TOURNIER

[1]

M. Paul Bourget se souvient d’avoir été philologue et, dans son roman de Némésis, où les événements nouveaux et les méditations de l’antiquité se mêlent d’une si étrange et belle manière, il mentionne et loue un vieil helléniste qui fut son maître à l’École des hautes études, Edouard Tournier, l’auteur de Némésis et la jalousie des dieux. C’était un homme admirable et singulier, deux fois aimable, et pour ses bizarreries autant que pour les vertus de son cœur et de son esprit. Il est mort il y a vingt ans bientôt, laissant une œuvre mémorable, courte et qu’il avait achevée dès sa jeunesse. Il continuait de travailler, mais ne donnait plus rien au public. Vers la fin de son existence, âgé de soixante-neuf ans, il méprisait son premier ouvrage, qui était de littérature ; il doutait du second, qui était de philologie : il travaillait, avec une sorte de désespoir, avec intrépidité cependant. Son aventure est liée à quelques-uns des problèmes qui, en son temps et depuis lors, aujourd’hui encore, sont le plus dignes d’occuper les intelligences. Il a été l’un des héros et l’un des saints de l’érudition française : du reste, un saint troublé, par cela même pathétique, toujours en lutte contre le matin, contre soi peut-être et, dans l’inquiétude où la méthode vous retient, fort de sa volonté.

C’était un grand garçon maigre et sec, très haut perché sur ses jambes, assez gauche d’allures, la tête levée, les yeux au loin. D’air et

  1. Némésis et la jalousie des dieux, Paris, 1863 ; — Sophocle, Tragédies, texte grec, publié d’après les travaux les plus récents de la philologie, Paris, 1967.