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destinée humaine à la merveille de l’atticisme : c’est la beauté sous la menace des dieux incompréhensibles.

L’auteur de Némésis et la jalousie des dieux épiloguait ainsi sur la Grèce, les dieux et la destinée, sur les conditions de la pensée, de l’art et de la vie. L’histoire lui montrait la particularité des époques ; la philosophie l’invitait à saisir aussi, dans les épisodes momentanés, les signes de l’éternité. Il avait trouvé un thème à longues et riches rêveries. Sa méditation lui ouvrait des horizons purs et qu’il savait joliment dessiner. Mais, son livre fait, et parfait, soudainement ce fut bel et bien fini. Soudainement, il s’accusa de frivolité. Il entra en philologie. Il s’enferma dans ce couvent rigoureux.

Il est philologue déjà dans son beau livre, où nulle page, où nulle phrase ne manque de la référence d’un texte : et le texte a été méticuleusement examiné, discuté. Plus d’une fois, les notes indiquent le-soin qu’avait Tournier de ne citer un passage qu’après en avoir contrôlé la valeur ancienne ; et il n’utilise pas la Théogonie sans alarme : c’est un poème où les interpolateurs ont beaucoup travaillé. Puis, très souvent, il hésite à croire que ses précautions suffisent. Entre la Grèce et nous, il y a des siècles ; et l’âme de la Grèce est une âme ensevelie, évanouie peut-être dans son antique sépulture, et qui défie la recherche de nos curiosités modernes. Tournier, en maints endroits de son livre, n’ose qu’à peine se hasarder : ne s’est-il pas engagé dans « une recherche trop conjecturale ? » Or, il avait, comme en son temps, une idée de la science qui réclamait l’incontestable vérité.

Les textes anciens sont parvenus, après de longues tribulations, par l’intermédiaire de copistes nombreux et généralement infidèles. Les copistes ignorants ont commis des Revues ; et les copistes matins ont commis des péchés ; Revues et péchés sont restés dans le texte, qui tantôt n’a plus de sens et tantôt n’a pas le sens que l’auteur lui donnait. Aucune tragédie de Sophocle, aucun poème de Pindare n’est arrivé jusqu’à nous tel que l’a composé Pindare ou Sophocle. Vous en étonnez-vous ? Comparez le texte de Racine dans l’édition que Racine a publiée et dans quelque réimpression d’aujourd’hui : comptez les différences. Et ensuite supposez que l’édition première ait disparu, ainsi que les éditions qui depuis lors ont peu à peu dénaturé le texte ; supposez, en outre, qu’au lieu d’être livré à nos habiles et loyaux imprimeurs, le texte, au cours des siècles, ait dépendu de la bêtise ou de la facétie de ces copistes, les uns qui ne comprenaient pas ce qu’ils écrivaient, et les autres qui succombaient à la tentation