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Mais cette protestation des Alsaciens-Lorrains à Bordeaux en 1871 ne devait pas demeurer isolée. En Allemagne même, dans les conditions les plus difficiles, les plus douloureuses, et aussi les plus probantes, elle fut, trois ans plus tard, renouvelée en plein Reichstag par les premiers députés Alsaciens et Lorrains nommés sous la menace même des baïonnettes prussiennes.

Au moment où se poursuit une immense bataille dont l’enjeu est le sort du monde, quand toutes les puissances de Justice se dressent contre la hideuse puissance de Proie, peut-être ne sera-t-il pas inutile de rappeler, après la protestation de 1871, la seconde protestation que l’Alsace-Lorraine en 1874 a élevée — devant le vainqueur même — contre le brutal arrachement qu’elle était décidée à ne jamais accepter.


I

La session du Reichstag de l’Empire allemand, en février 1874, s’ouvrit dans une atmosphère d’ardente fièvre politique. Les élections avaient eu lieu en janvier, et la période législative qui allait commencer était la seconde de ce Parlement d’un Empire tout neuf, né trois ans auparavant du désastre de la France, au milieu d’une Europe d’abord surprise, puis maintenant un peu inquiète en face de ce colosse sorti soudain de terre, en armes devant elle.

La première législature avait été consacrée à l’organisation politique de l’Empire. Mais ce qui donnait à celle qui s’ouvrait un intérêt tout particulier, c’est que, pour la première fois, allaient être admis à siéger les représentans de l’Alsace et de la Lorraine, arrachées à la France en 1871. Quelle attitude allaient-ils y prendre ? C’est ce que le public attendait avec une impatiente curiosité.

Aux parvenus il faut le temps de se faire construire des palais, fabriquer objets d’art et statues. Or, Berlin, bourg sordide il y a deux cents ans à peine, alors modeste chef-lieu du pauvre électoral de Brandebourg, Berlin, promu soudain à la dignité de capitale d’Empire, n’avait pas encore de palais pour abriter son Reichstag ; en attendant que, — sur une place immense, en face d’un monument de la Victoire haut de soixante-trois mètres, avec statue de huit mètres entièrement