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sa monarchie lui fait de l’ambition une sorte de nécessité ; tout prétexte lui est bon, nul scrupule ne l’arrêté ; la convenance est son droit. Il est donc nécessaire de mettre un terme à son ambition… en paralysant son influence par l’organisation fédérale. »

Mais, en donnant à la Prusse cette Province rhénane dont on ne savait que faire et qui devenait res nullius du moment qu’on l’enlevait à la France, Talleyrand n’avait pas prévu1 que les deux tronçons, si éloignés l’un de l’autre, de la monarchie prussienne, se rejoindraient quelque jour et imposeraient leur domination au corps germanique tout entier.

C’est ainsi que, par la faute de notre plénipotentiaire et aussi de l’Angleterre, la Prusse devenue, — de lointaine qu’elle était, — notre âpre et dangereuse voisine, et mise en posture de prendre toujours et de tous les côtés, se trouva toute prête, le 20 novembre suivant, pour réclamer Sarrebrück et Sarrelouis qui étaient restés à la France. Les événements allaient favoriser son astucieuse ambition.

En mars 1815, lorsque les souverains et les ambassadeurs réunis à Vienne, apprenant le retour de l’île d’Elbe, eurent résolu « de ne pas poser les armes, tant que Bonaparte ne serait pas mis absolument hors de possibilité d’exécuter des troubles, » ils prirent l’engagement de maintenir le traité de Paris, en ce qui concernait les limites de la France. On ne saurait trop, aujourd’hui, répéter et rappeler ces faits bien connus : en adhérant au pacte d’alliance au nom du roi Louis XVIII, Talleyrand, bien inspiré cette fois, eut soin d’y faire mentionner « le maintien de l’ordre de choses établi par le traité du 30 mai 1814. » Ce n’est qu’à cette condition expresse que Louis XVIII entra dans la coalition contre Napoléon, et cette déclaration du plénipotentiaire français fut agréée par toutes les Puissances.

C’est aussi ce que le gouvernement de circonstance improvisé a Paris, après la seconde abdication de Napoléon, s’empressa de rappeler aux souverains étrangers qui envahissaient notre pays.[1].

Mais ceci ne faisait point l’affaire des Prussiens qui, suivant les habitudes de leur diplomatie, n’avaient cure de tenir leur promesse, puisque la force leur donnait les moyens d’y

  1. Albert Sorel, Le Traité de Paris du 20 novembre 1815, p. 57.