Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 45.djvu/904

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

était seule, comme si d’elle seule dépendait le succès cherché, et en telle sorte que rien n’y fût jamais laissé au hasard, mais que la bonne foi, sans cesse affirmée, s’y présentât sans cesse comme le moyen le plus ordinaire de duper, la nonchalance comme un calcul, la maladresse comme un piège et l’aveu de la défaite comme une perfidie ; une rare duplicité enfin, qui prend pour masques une aisance surveillée et l’agrément apparent des manières ; telles sont les ressources qu’a fait paraître en toutes circonstances le comte von Bernstorff et qui sauvèrent les destinées de l’Allemagne aux Etats-Unis tant qu’elles purent être sauvées. Joignez-y la plus complète absence de scrupules qui ait jamais été constatée chez un manieur d’affaires. Son action, qui s’est exercée souvent contre les désirs et parfois contre la volonté de son gouvernement, a certes été considérable. Peut-être la plus grande faute de l’Allemagne, et pour nous la plus heureuse aura-t-elle été dans son entêtement à ne pas vouloir comprendre parfois et à refuser de suivre souvent les avertissements de son ambassadeur. C’est ce malentendu qui mettra finalement les affaires de l’Allemagne au pire.


AU DÉBUT DE LA GUERRE

A son retour d’Allemagne, aussitôt après l’invasion de la Belgique et du Nord de la France, l’ambassadeur du gouvernement impérial s’aperçoit vite que l’opinion à Washington est singulièrement changée à son égard.

Beaucoup de familles qui, avant son départ, lui faisaient bon accueil, ne montrent plus aujourd’hui aucun empressement à le rencontrer. Il est reçu chez d’autres, et de celles qu’il tenait pour amies, avec une gêne ou une fraîcheur des plus significatives. Les maisons même où M. von Bernstorff s’était cru davantage chez lui n’ouvrent plus pour lui que la petite porte. On lui propose de venir faire un bridge un jour, un soir, quand on sera sûr qu’il ne rencontrera personne ; et on le prie, en confidence, de ne point laisser l’automobile de l’ambassade stationner à la porte. Certains salons, enfin, tout juste deux, l’affichent avec une ostentation, une sorte de bravade bruyante, plus vexante encore que la réserve des autres. Toute la société de Washington, enfin, se tient, vis-à-vis de l’ambassadeur