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gouvernement des États-Unis s’abstiendra de toute démarche décisive aussi longtemps qu’il ne connaîtra que les rapports venus d’un seul côté. » Il ajoute que, « au cas où des Américains auraient péri dans le coulage, ce serait naturellement contraire à l’intention du gouvernement allemand qui regretterait profondément le fait. » Ce télégramme gagne du temps et produit une détente. Plus tard seulement on saura que tout entier de la main et de la décision de l’ambassadeur, loin d’avoir été inspiré par Berlin, il va précisément contre la conduite qui vient d’y être adoptée : il sera donc accueilli, dès qu’il parviendra à Berlin, avec la plus franche mauvaise humeur. Qu’il n’y ait point toujours parfait accord entre les bureaux de la métropole et les titulaires des postes officiels et que ceux-ci agissent parfois ou souvent contre les intentions de ceux-là, ces choses-là, dans toutes les diplomaties du monde, se sont vues et se voient.

Durant les jours qui suivent, et en dépit des télégrammes de plus en plus courroucés, puis comminatoires, qu’il reçoit de son gouvernement, l’ambassadeur observe la même ligne de conduite. Il prodigue les promesses calmantes ; il multiplie dans la presse, dans les conversations de club, les assurances d’arrangement, de conciliation, de bonne volonté allemande.

Brusquement son attitude change. A-t-il eu vent de la nouvelle attaque que l’Angleterre prépare contre l’Allemagne et compte-t-il s’en servir pour venir enfin à bout de l’opposition qu’il sent croître à Berlin ? Toujours est-il que, l’opinion américaine à peine calmée, le voilà qui retourne tout à coup à sa villégiature de Cedarhurst. Il ne parle plus, il n’écrit plus, il se met lui-même en disgrâce, il prétend se faire oublier.

C’est de là qu’il assiste, sans en prendre la responsabilité, et sans doute non sans joie, au lancement intempestif et fort mal accueilli du premier ballon d’essai allemand en faveur d’un tribunal d’arbitrage qui déciderait des responsabilités et dommages dans l’affaire de la Lusitania. C’est là qu’il fit le non moins maladroit manifeste au Pape en faveur de la paix : Sans doute a-t-il, de longue date, averti son gouvernement de l’échec qui attendait l’un et l’autre. On assure qu’il est agréable en tout temps de voir les gens qu’on a prévenus se mettre dans l’embarras par leur faute. A cet agrément, le monde en général ne résiste