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Est. Après des combats de rues, marqués par les alternatives ordinaires, îlots perdus, repris, reperdus, nous évacuions Soissons où l’ennemi s’installait, cependant qu’à notre tour nous en saisissions les lisières Ouest et nous l’y enfermions. Le 30 mai, le 31, il lui a été impossible d’en déboucher. Soissons qui, dans ses plans, n’était qu’une étape, devenait pour lui une impasse. Sans s’attarder, il en a contourné les faubourgs, s’est glissé au Sud, pour s’écouler par la vallée de la petite rivière la Crise et s’épandre sur la route de Château-Thierry, qu’il a rejointe aux environs de Hartennes. Presque aussitôt, 30 et 31 mai, apparaissent, dans la même direction, les noms de Grand-Rozoy, de Cugny, de Nanteuil-Notre-Dame, puis de Coincy, de Brécy, de Courpoil, du Charmel, enfin de Jaulgonne et de Chartèves, villages près desquels les Allemands touchaient la Marne au sommet de la grande boucle qu’elle dessine entre Château-Thierry et Dormans. Ils y touchaient, mais s’arrêtaient sur la rive droite, des souvenirs cuisants encore au bout de quatre années ne leur permettant pas d’oublier que c’est un fossé difficile. Malheureusement, sur le rebord opposé de ce fossé, trop près pour être hors d’atteinte, court la ligne de chemin de fer Paris-Châlons, artère commune de Paris-Verdun et de Paris-Nancy, qui commande la circulation de tout l’Est.

Au centre, les divisions de von Hutier, surgissant derrière les armées de von Bœhm et de Fritz von Below, à six et par endroits à dix hommes contre un, précédées de leur nappe vénéneuse, avaient réussi à forcer le passage de l’Aisne, entre Vailly et Bermericourt, en un double point, vers l’Ouest à Pont-Arcy, vers l’Est à Berry-au-Bac. L’héroïsme ne peut rien contre le nombre, quand la disproportion est énorme et, comme ce sont les corps qui tombent, devant le débordement brutal de la matière, il arrive un moment où l’âme ne suffit plus. La défense fut submergée par ces vagues qui se prolongeaient et se grossissaient en océan. L’un après l’autre furent dépassés, sur la Veste et son affluent le Murton, le long de la voie ferrée, de Fismes à Fère-en-Tardenois, Mont Notre-Dame, Bruys, Loupeigne, Fère-en-Tardenois même, lieu toujours illustre, lui aussi, dans l’histoire de nos invasions.

Plus à l’Est, plus près de Reims, l’infiltration, qui partout suivait les vallées, et gagnait de proche en proche, — il faut reprendre cette image, — à la manière dont la mer monte, sur certaines plages, par petites mares communicantes, descendait moins bas. Le flot léchait seulement Vezilly, à la hauteur de Ville-en-Tardenois, et ne couvrait que d’une écume Brouillel, Savigny-sur-Ardre, pour revenir, par