commandement, de propos délibéré et par système. Le commandement est celui qu’on doit ignorer. Qu’aucun éloge n’égale jamais la bravoure et l’esprit de sacrifice de nos soldats, cela ne fait de doute pour personne. Et nul ne conteste que ce sont les poilus qui gagnent les batailles : mais pourquoi vouloir qu’ils les gagnent tout seuls ?
Notez qu’il n’est rien, je ne dis pas de plus injuste, ni même de plus paradoxal, mais qui soit en contradiction plus flagrante avec le caractère de la guerre moderne. Dans la guerre actuelle, le facteur moral, — mordant des troupes, bravoure individuelle, esprit d’initiative, audace et ténacité, — a gardé toute sa valeur, et il est exact qu’en dernière analyse c’est à lui que revient le gain du combat. Mais, d’autre part, à mesure que cette guerre se faisait plus scientifique et englobait des données plus complexes, un élément devait y jouer un rôle sans cesse grandissant : l’élément intellectuel. Je ne songe pas du tout à reprendre ce thème que les batailles des Turenne et des Napoléon étaient des jeux d’enfants au prix des batailles de maintenant, car je n’en crois rien : le génie des grands capitaines s’adapte aux conditions de la guerre, aussi souvent qu’elles se transforment, et il accomplit à chaque époque, dans les conditions qu’il rencontre, sa besogne géniale. Mais je pense que la partie de calculs et de prévisions s’est développée à proportion que croissaient l’énormité des masses à mouvoir et la puissance des engins. En d’autres termes, le rôle de l’état-major, à tous ses degrés, n’avait jamais été aussi considérable.
Et il n’a jamais été si différent de celui qu’on imagine et que peut-être a-t-il eu, en effet, dans les guerres d’autrefois. Nous avons tous dans les yeux ces rutilants états-majors groupés autour du chef dans les plus fameux tableaux de batailles. L’officier d’état-major est alors, par définition, le brillant cavalier qui porte dans toutes les directions les ordres du général. Les choses ont beaucoup changé, parce que la science a beaucoup marché, qu’elle a singulièrement allongé la portée du tir, et réalisé, entre autres inventions, celle du téléphone. Ni les généraux ni leurs officiers ne paradent plus en grand costume, chamarrés et dorés sur toutes les coutures. Et ce n’est pas du haut d’un monticule dominant le terrain qu’ils assistent à la bataille. Le panache a-t-il diminué ? Ce qui est certain, c’est que la tension cérébrale a augmenté.