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quarante-trois mille. — Si peu ? — Pas davantage ; et ceci pour une carrière déjà longue, pour un talent hors de pair, pour une gloire que la guerre a, tout à la fois, purifiée et accrue. Or, les romans de M. Guido da Verona s’échelonnent dès aujourd’hui entre trente et cinquante mille exemplaires : exactement trente-six mille, quarante et un, quarante-deux, quarante-cinq, cinquante-quatre. Il dépasse d’Annunzio, et pour peu qu’il continue, il le laissera loin derrière lui : comme tirage, s’entend.

Et Fogazzaro ? — Continuons pendant une minute encore ce petit jeu d’arithmétique. Leila n’est arrivée qu’au vingt-sixième mille : il est vrai qu’il s’agit du dernier en date. Piccolo mondo antico, trente-cinq mille ; Il Mistero del Poeta, trente-sept ; Il Santo, quarante-trois ; Malombra, cinquante ; Daniele Cortis, soixante ; Piccolo mondo antico, soixante-cinq. La diffusion moyenne des romans de M. da Verona égale donc celle des romans de Fogazzaro. Les autres écrivains contemporains, même parmi les meilleurs, étant loin d’atteindre ces chiffres, on en arrive à cette conclusion surprenante et pourtant incontestable, que l’auteur de Mimi Bluette est le plus répandu parmi les romanciers italiens d’hier et d’aujourd’hui.


II

Il est arrivé très jeune à la renommée. Il est né à Saliceto Panaro, près de Modène ; mais sa patrie d’élection est Milan, la grande ville. C’est là qu’il suivit indolemment les cours du collège, et qu’il griffonna ses premiers vers. Puis, sa mère voulant qu’il eût quelque diplôme, comme toutes les mères, il se décida pour le droit, comme tous les fils qui n’ont pas de vocation déterminée, et se sentent un bel appétit pour croquer gaiement les écus paternels. S’il choisit l’Université de Gênes, ce n’est pas qu’il fût séduit par son rayonnement juridique ; mais les étudiants n’étaient pas forcés d’assister aux cours ; et il appréciait fort cette façon de pratiquer la scolarité. On ne s’étonnera point qu’il lui fallût, pour passer ses examens, beaucoup de bonheur et toute l’indulgence du jury. Il fit son volontariat dans la cavalerie, naturellement ; beau cavalier lui-même, il servit dans le beau régiment des dragons bleus. Et ce fut fini des apprentissages ; il avait vingt ans.

Aussi bien la vie qu’il aimait avait-elle déjà commencé pour lui : vie de plaisir et d’aventure ; non point dépensée tragiquement, à la façon des romantique ’ ; mais gaspillée, avec une sorte d’obstination.