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L’analogie de Fénelon et de Rousseau, l’influence de Fénelon sur Rousseau, est le sujet, l’un des sujets, enfin le sujet principal de deux volumes importants que vient de publier M. Ernest Seillière, Madame Guyon et Fénelon, précurseurs de J.-J. Rousseau et le Péril mystique dans l’inspiration des démocraties contemporaines, Rousseau visionnaire et révélateur. Quant à l’auteur du Fénelon que je disais, M. Seillière lui fait un reproche : « Lemaitre, qui, à l’exemple de Michelet, mais avec moins de brutalité que celui-ci, cherchait volontiers dans les passions de l’amour le ressort de tous les événements de l’histoire… » Il n’est pas juste, à mon avis, de prétendre que Lemaitre cherchait dans les passions de l’amour le ressort de tous les événements de l’histoire : car Lemaitre ne cherchait pas le ressort de tous les événements de l’histoire : une telle ambition l’eût alarmé… Donc, Lemaitre a écrit, « pour caractériser les relations de la comtesse avec son directeur, » les relations de Mme Guyon avec Fénelon, « qu’évidemment elle l’aimait. » Et M. Seillière : « Interprétation trop fruste d’un sentiment beaucoup plus complexe ! » Trop fruste ou, autant dire, trop simple. Mais Lemaitre ne s’est pas contenté de croire qu’ « elle l’aimait ; » il écrit : « La vérité, c’est qu’ils se sont aimés, d’une amitié mystique, sous des formes très spéciales et très pures… » Et il consacre plusieurs pages, délicates et douces, à l’analyse d’une tendresse toute mêlée de religion. Il dit de Fénelon : « Oh ! non, il n’était pas simple. C’était une âme de désir et d’angoisse. Dépris de ses rêves héroïques de jeunesse, déçu ensuite dans son apostolat à l’intérieur, rejeté à la direction des âmes de femmes, il cherchait, quoi ? la sainteté, sans doute. » Ce n’est pas là, comme le donnerait à entendre M. Seillière, ramener à une élémentaire histoire d’amour la liaison spirituelle de la comtesse et de son directeur. Mais, si l’on nous invite-à supposer, dans une si étrange aventure, un certain fonds d’amour, on nous aide à la comprendre. Comment faire, autrement ? Cette amitié mystique a un tel langage et a de telles manifestations si extravagantes qu’elle nous échappe et nous reste inintelligible, si nous n’avons pas soin de l’imaginer un peu sur le modèle d’un sentiment qui nous soit connu, quitte à indiquer bientôt les nuances qui cette fois rendaient ce sentiment très singulier, qui le dégageaient de tout ce qu’il est d’habitude, le compliquaient et le purifiaient aussi, et lui laissaient pourtant son caractère essentiel. L’interprétation de M. Seillière, la voici : « A notre avis, Mme Guyon trouvait en son conseiller illustre un appui, d’ordre affectif, qui lui permit d’atténuer quelque peu l’anarchie dont souffrait sa propre