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réelle. Les profits réalisés par les armateurs isolés ou les compagnies de navigation offrent de singulières anomalies : tel, dont les bateaux ont été réquisitionnés en 1914, a été réglé en 1917 sur la base des prix d’avant-guerre ; tel autre, mobilisé, revend 500 000 francs un navire qu’il avait acheté moitié moins, mais doit à l’état 125 000 francs sur son bénéfice ; tandis qu’une compagnie de chemin de fer français, en acquérant pour 12 millions une flotte qui naguère en valait 6, a dû prendre à sa charge exclusive, par contrat, tous les impôts dont ce marché pourrait être l’objet. Ici l’acheteur devra donc payer, en plus de son prix, l’impôt de guerre de 80 pour 100 sur le profit de 6 millions que son vendeur gardera intact.

Un navire, partiellement amorti, qui figurait aux écritures pour 600 000 francs en 1914, vaudra très bien aujourd’hui 4 millions pour lesquels il est obligatoirement assuré. S’il vient à être coulé, l’impôt sera de 2 720 000 francs, c’est-à-dire de 80 pour 100 des 3 400 000 constituant la plus-value récente. L’armateur, qui gagne encore 680 000 francs, ne semble pas à plaindre ; sauf que, s’il voulait remplacer son bateau par un autre, il n’en trouverait pas à ce prix et que, si le fait se renouvelle souvent, il finit par n’avoir plus de bateaux, tout en ayant largement doublé son capital.

Ce capital, comme celui de la plupart des grosses affaires, appartient à des sociétés anonymes ou autres ; de sorte que les profits s’y divisent entre des centaines, voire des milliers d’actionnaires. Ainsi, bien qu’aucun des fournisseurs de l’État ne soit ignoré du fisc, l’impôt sur les bénéfices de guerre, si les rôles en étaient rendus publics, ne nous ferait pas connaître la part individuelle de chaque actionnaire ; ni d’ailleurs le gain positif de chaque entreprise, parce qu’au profit taxable s’ajoute un amortissement admis, représenté par un matériel immobilisé dont la valeur est inconnue… et sera nulle peut-être.


III

Surtout cet impôt ne nous donne qu’une idée très fausse du nombre et de la fortune des nouveaux riches, puisque l’on a vu qu’il frappera tout au plus 4 milliards pour la période comprise entre le 1er août 1914 et le 31 décembre 1917. Or, durant cette période seulement, il a été créé en France pour 74 milliards