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À ce déficit de la main-d’œuvre on nous annonce des remèdes : organisation nouvelle du travail, méthodes scientifiques, machinisme. Nous les accueillerons avec joie. Mais il faudra toujours des paysans, de vrais paysans. C’est une nécessité dont on ne peut sortir, ni rien retrancher, qu’un peu plus loin nous mettons hors de doute, en pleine lumière.

Pour avoir des paysans, il faut sauver la vocation paysanne des jeunes. Tout est là. C’est le point vif de notre avenir agricole, par conséquent une affaire de première importance, d’ailleurs toute morale, de pure psychologie, et qui regarde l’éducateur. Le rôle de ce dernier grandit singulièrement, puisqu’il tient un peu dans ses mains le sort de bien des choses : notre fortune nationale, nos budgets privés, nos menus, nos estomacs. D’autres biens précieux, d’un ordre tout différent, sont encore attachés au salut des vocations paysannes.


I

Elle n’est pas rare, cette vocation : tout enfant qui naît dans une métairie l’apporte en venant au monde. Il la précise insensiblement en essayant ses premiers pas dans la tiède chaleur des étables ou sur la bordure du champ que son père laboure. La vie agricole déroule chaque jour devant lui l’admirable variété de ses tableaux : les grands bœufs qui docilement se vont mettre sous le joug et d’un pas grave s’avancent au moindre geste du bouvier ; les semences d’automne sous les nuages bas, qui rendent la colline plus haute et sur sa crête amplifient jusqu’au ciel le geste large du semeur ; le miracle d’avril en fleurs au lendemain d’un jour de neige, celui de la Saint-Jean d’été, le triomphe doré des moissons. Ses yeux sont émerveillés, et que d’émois dans cette âme naissante, trempée de vie nationale comme un bourgeon de rosée ! Chaque soir l’enfant dit à son âme : oui, je serai laboureur ! Voilà la vocation dans son origine et vérité psychologiques, une ferveur d’admiration.

L’admiration est tout dans le principe ; plus tard l’imitation s’y joint pour alourdir, matérialiser et aussi consolider la vocation. L’imitation, — il s’agit ici de l’imitation consciente ou demi-consciente, — est une grande force dans notre vie psychique, mais toujours seconde à partir de l’admiration,