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classiques français, et pour que cette partie du patrimoine national ne devienne pas une chose morte. Et c’est en travaillant ces rôles du répertoire que les futurs comédiens prennent cette ampleur et ce style qu’ils porteront plus tard dans les créations les plus modernes et qui feront d’eux vraiment des artistes.

Je n’aurai garde de discuter les décisions du jury. Presque toujours il juge autrement que nous ne jugeons dans la salle : c’est qu’il a des éléments que nous n’avons pas. Les notes de classe, les succès précédemment obtenus, l’opinion du professeur, l’âge du concurrent, tout cela influe sur une décision qui, somme toute, a les plus grandes chances d’être équitable. Nous autres, tout ce que nous pouvons faire, c’est de signaler ceux des concurrents qui nous ont paru donner de belles promesses.

Comme c’est la coutume, le concours de tragédie a été le moins bon. Cinq concurrents se sont livrés devant nous à des récitations, dont il était facile de voir qu’elles les laissaient tout à fait indifférents. Et pourtant c’était Racine, c’était Sophocle ! Je fais une exception pour Mlle Delaur qui a dit avec intelligence une scène d’Antigone. La physionomie est expressive, le geste a de la vigueur et la diction de la netteté. La pieuse héroïne dont le poète antique a fait l’interprète de cette loi sacrée, inscrite non dans les codes mais dans nos cœurs, nous est apparue dans sa rigidité intransigeante et son intraitable fierté. Mlle Delaur semble appelée à réussir sinon dans les rôles de tendresse, du moins dans ceux de volonté et d’énergie. Ce sera une héroïne cornélienne plutôt que racinienne.

A la Comédie, vingt-neuf concurrents.

J’ai remarqué tout particulièrement Mlle Rouer qui a montré dans le rôle de Camille d’On ne badine pas avec l’amour des qualités de premier ordre. Elle a rendu toutes les nuances de ce rôle si complexe : l’orgueil, la hautaine mélancolie, l’ardeur passionnée, et le je ne sais quoi de mystérieux et de déconcertant. Car, elle m’a toujours semblé, cette Camille, terriblement instruite pour une si jeune fille et si bien gardée par dame Pluche. Elle est très jeune fille et elle parle un langage de femme. Elle se détache sur la blanche théorie créée par le rêve de Musset, et il n’en est point parmi ses sœurs charmantes dont le cœur enferme une pareille richesse de sentiments. Aussi l’honneur lui revient-il, et ne pouvait-il revenir qu’à elle, d’avoir inspiré à Perdican son immortel couplet sur cette beauté de l’amour qui fait de l’union entre deux êtres imparfaits quelque chose de sublime. Ce qui caractérise cette étrange