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dans ce chemin sauf qu’elles le purent, comme bien d’autres, employer. En réalité le Chemin des Dames est marqué très nettement sur la carte de France de Cassini (carré de Soissons) dressée bien avant la naissance des filles de Louis XV. Son tracé est tellement indiqué par le faite des plateaux qu’il doit être fort ancien : il existait là une voie romaine que Jeanne d’Arc avait suivie se rendant de Corbeny (où, après le sacre de Reims, Charles VII était venu, suivant la tradition, toucher les écrouelles) à Vailly où la Pucelle reçut les clefs de Laon et les remit au « gentil roy. » Quand Napoléon, sur son cheval de bataille, poursuivait « tambours battant, » d’Hurtebise à l’Ange Gardien, les troupes de Woronzof, il ne marchait pas sur les traces seulement des insignifiantes filles du roi Louis XV, mais sur celles de Jeanne, et le souvenir de l’héroïque fille était là, comme en bien d’autres champs de bataille, pour accueillir nos héros de 1914 et 1917 quand ils sautaient sur le Chemin des Dames.

Pourquoi ce nom gracieux, dès lors ? Probablement parce que le chemin reliant Laon et Soissons à Vauclerc, les religieuses d’un des monastères de dames avaient coutume de le suivre ou que, suivant une tradition, les dames de Proisy, possédant la Bove depuis longtemps, l’avaient tracé et employé ; ainsi la route des seigneurs, reliant le bois de Beaurieux à la ferme de la Tour, tenait son nom des sires de Roucy, qui, à l’Est du plateau, jouèrent, des siècles, le rôle prépondérant que les sires de Coucy assumaient à l’Ouest. Aussi bien, que le nom charmant sous lequel s’inscrit sur les cartes cette belle route, — aujourd’hui bouleversée, — vint des dames religieuses de Laon, des dames de Proisy ou de Mesdames de France, qu’elle ait été parcourue par les haquenées des châtelaines du XIVe siècle, les chaises des nonnes du XVe siècle ou les carrosses des princesses du XVIIIe, ce Chemin des Dames est aujourd’hui le Chemin des soldats, triplement si les soldats de Maud’huy en 1914, avant les poilus de 1917, y trouvaient, — les Anglais étant d’ailleurs, chose piquante, de la partie, — avec le souvenir de Napoléon, l’ombre lumineuse de Jeanne d’Arc.


Nous voici au terme de ce tableau. Embrassons-le d’un coup d’œil : Laon est le donjon d’un énorme château fort qui se dresse entre l’Ile-de-France et les régions du Nord. Deux grands