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parade. » Le déplorable rédacteur en chef du Moniteur essayait d’emplir ses colonnes en racontant que la Grande-Duchesse de Toscane… « C’est ridicule ! s’écriait l’Empereur. L’Europe s’embarrasse peu de ce que fait la Grande-Duchesse. Les souverains laissent imprimer ce qu’ils font ; mais c’est malgré eux et pour empêcher les bruits ridicules. On laisse mettre dans les journaux que l’Empereur est allé à la chasse : c’est parce que le public qui n’en entendrait pas parler ferait des nouvelles. Il y a de grands intérêts attachés à ce que font les souverains, au lieu qu’aucun intérêt n’est attaché à ce que fait la Grande-Duchesse ! » Mais alors, qu’est-ce que le Moniteur et, à plus forte raison, les autres journaux, pouvaient bien racontera leurs lecteurs ? Ils ne racontaient rien, leurs lecteurs ne lisaient rien, et vivaient cependant.

En pleine campagne de France, au mois de février 1814, Napoléon donne encore des idées aux journalistes. Il écrit à Savary : « Monsieur le duc de Rovigo, au lieu des bêtises dont on remplit chaque jour les petits journaux, pourquoi n’avez-vous pas des commissaires qui parcourent les pays d’où nous avons chassé les ennemis et recueillent les détails des crimes qu’ils y ont commis ? Il n’y aurait rien de plus fort pour animer les esprits que le récit de ces détails. Dans ce moment, il nous faut des choses réelles et sérieuses, et non pas de l’esprit en prose et en vers… » Qu’on aille dans les communes, interroger les habitants, les témoins, juges de paix, curés, maires anciens seigneurs, qui diraient ce qu’ils ont vu, qui l’écriraient volontiers… « Voilà ce qu’il faut publier. Or, pour avoir ces lettres, il faudrait les leur demander. Il ne faut pour tout cela ni esprit, ni littérature… » Les ennemis ont pillé, volé, saccagé, brûlé partout. Ils ont répandu la terreur, se vantant d’aller à Paris, de mettre la ville en cendres après avoir tout enlevé… « Ce n’est pas en faisant un tableau général que l’on pourra dire du prince de *** qu’il s’est couvert de boue. Il a volé et pillé partout où il a passé. Pourquoi ne pas citer ce fait ? Il est impossible que les bourgeois de Paris et les hommes du gouvernement ne reçoivent pas des lettres de toutes les parties d’où les ennemis ont été contraints de se retirer. Ne peut-on pas recueillir ces lettres et les imprimer ? C’est alors, après que tous les détails particuliers auront été signalés, que des articles bien faits seront d’un bon résultat. Ce seront des tableaux faits sur les éléments dont tout le monde connaîtra la vérité… » Voilà tout un programme d’enquête ; et c’est le journalisme d’à présent, — le reportage, — que l’Empereur invente. Qu’est-ce que faisaient donc les journalistes ?…