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servir, d’une façon si parfaite, la conception du Haut Commandement, y étaient arrivés, j’ai tenté de le montrer ailleurs[1], par la pratique d’une étroite et heureuse solidarité. Se soutenant et souvent se secourant l’un l’autre spontanément, ils n’avaient cessé de rester liés, dans un relatif contact qu’en aucun point l’ennemi n’avait pu briser.

Les chefs gardaient de cette première expérience une tendance au coude à coude qui d’ailleurs ne leur était point particulière et se manifestait aux échelons inférieurs, puisque, au cours de la bataille, un des lieutenants de Maunoury devait signaler à ses divisionnaires comme un vrai danger « ce souci exagéré de la liaison et de l’alignement », ajoutant que, « chacun marchant carrément et résolument sur son objectif, la liaison se trouverait par-là même réalisée. » Ces fortes paroles eussent pu avec profit s’adresser en haut comme en bas. Plus particulièrement, — nos Alliés l’ont depuis reconnu avec une bonne grâce qui me libère de tout scrupule, — le maréchal French, aussi prudent que vaillant, éprouvait depuis le début de la campagne une constante appréhension de rester, si peu que ce fût, isolé. Il avait comme excuse ce qu’il appelle lui-même « la faiblesse de son armée. » Aussi ne cessait-on de recommander que nos Alliés « fussent toujours très fortement encadrés sur leurs deux flancs. » Le Maréchal se trouvant entre les armées Maunoury, à sa gauche, et d’Esperey à sa droite, le Haut Commandement lui-même prescrivait aux deux généraux français de rester liés d’une façon très étroite avec les Anglais : comme le général d’Esperey, nous le verrons, était amené à appuyer assez fortement à droite vers la région de Reims, le souci qu’avait le Maréchal de rester « lié » l’entraînait à son tour vers l’Est ; mais, par ailleurs, presque insensiblement, le général Maunoury, soucieux de satisfaire aux inquiétudes du Maréchal, serrait sur lui et, prolongeant sa droite vers Soissons, était par elle retenu de telle façon, qu’à peine son extrême gauche pouvait enjamber l’Oise.

Dès l’abord, la tendance à appuyer à droite fut manifeste, et c’est parce que le point de départ de la bataille de l’Aisne est bien au soir de celle de la Marne, qu’il faut en quelques mots revenir sur la poursuite.

  1. Voir, dans la Revue du 15 septembre 1916, notre article sur la Victoire de la Marne.