Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 46.djvu/857

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lisant l’Aminte ou le Pastor fido, ou telles œuvres bucoliques, si come a cittadini di boschi conveniva. Et elle lui disait de jolies choses, touchant leur lecture et le paysage pareils, de jolies choses, même simplettes, et auxquelles il se faisait un plaisir d’attribuer trop d’importance : l’amitié finement émue travaille ainsi à orner les aspects d’une âme qui a un gracieux visage. Ce qu’elle lui disait, comment l’oublierait-il ? Douces conversations ; et fructueuses, il s’en persuade… Et il baise les belles mains de la très illustre demoiselle, sa Dame et sa patronne.

Les poètes italiens étaient à la mode ; et la langue italienne aussi : les jeunes femmes et les jeunes filles l’apprenaient. Ménage, dit-on, l’avait enseignée à Mme de Sévigné la veuve. L’enseigna-t-il à Mlle de La Vergne ? Un peu, sans doute ; mais, ainsi qu’à Mme de Sévigné, un peu. L’on a généralement présenté Ménage comme le professeur de l’une et de l’autre. Même, on raconte que Mlle de La Vergne avait deux maîtres de latin, Ménage et le Père Rapin ; voire, on assure que la jeune élève, au bout de trois mois à peine, en savait plus que ses deux maîtres. Un jour qu’ils la « faisaient expliquer, » ils eurent « dispute ensemble » touchant l’interprétation d’un passage ; et ils se querellaient, avec l’opiniâtreté fameuse des commentateurs. Mlle de La Vergne leur dit : « Vous n’y entendez rien ! » Elle leur traduisit à sa guise les lignes contestées ; et ils se rendirent à l’évidence : elle avait raison. Cela se lit dans les Segraisiana. Seulement, les Segraisiana ne méritent aucun crédit. Quant au Père Rapin, Mlle de La Vergne et puis Mme de La Fayette ne disent pas un mot de lui : Mlle de La Vergne ne dit pas un mot de lui, dans ses lettres à Ménage, à l’époque où ces deux hommes auraient été ses deux maîtres. Ménage ne dit pas un mot de cette prétendue collaboration pédagogique. Et, dans ses Mémoires, le Père Rapin mentionne Mme de La Fayette, mais en passant, d’une manière évasive, pour noter qu’elle fréquentait chez les du Plessis-Guénégaud, maison qu’il n’aime pas, vu qu’on y « enseignait l’évangile janséniste. » Et M. Ménage n’était pas un pédagogue. Il n’a pas été le professeur de Mlle de La Vergne. Il a été l’un des beaux esprits que recevait la mère de cette jeune fille. Et il avait l’âme érudite et galante. Mlle de La Vergne lui plut par son visage et son intelligence. Ce fut, dans l’exil angevin, son amusement de lire avec elle l’Aminte et le Pastor fido, de l’éveiller à cette poésie et,