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une complaisance extasiée, sur le pavillon de Mme Du Barry à Louveciennes ; il admire sans réserve Bagatelle, l’Ecole militaire, les châteaux de Chanteloup et de Ménars. Ce touriste n’est pas un sot, il voit avec les yeux de tous ses contemporains : le gothique les déroute et ne les émeut pas. Même quand, manifestement stimulés par l’enthousiasme intéressé des bedeaux, ils s’efforcent d’admirer quelque monument du moyen âge, il est évident que cela leur parait bien « démodé. » Les vieux logis ne les retiennent pas davantage : « Ce qui est à noter, à Rouen, consignent les Lorrains, c’est que les maisons sont beaucoup plus étroites par le bas que par le haut : chaque étage avance au-dessus de celui qui le précède, de sorte que les toitures se touchent presque et, en marchant contre les murailles, on est toujours à l’abri de la pluie. Les connaissances doivent se faire facilement, car il n’est guère possible d’être chez soi quand la maison d’en face est aussi rapprochée ; nous nous laissons conter que les amoureux pénètrent chez leurs belles par ce moyen : les signes de vis-à-vis s’échangent d’abord, puis les paroles et enfin le reste[1]. » Pourtant, ils reconnaissent que la façade du Palais de Justice est « très noble » et rendent hommage aux dimensions des églises.

Les étrangers ne sont pas plus touchés par ce genre de pittoresque. Le docteur Rigby dit d’Avignon : « Tout ce qu’on y peut remarquer, c’est que les rues sont très étroites et sales par suite des habitudes malpropres des habitants. » Du palais des papes, de l’enceinte fameuse, du pont légendaire, pas un mot. Cependant celui-là est, par goût, un précurseur du romantisme : il y a des ruines qu’il juge « magnifiques[2] » et des sites qu’il admire au passage, sensations très rares chez les voyageurs du XVIIIe siècle. Presque tous passent sans s’attarder devant les plus beaux paysages ; ils ne louent dans les villes que les rues neuves et les constructions récentes, parlent avec horreur des vieux quartiers et de leurs masures, « dont l’aspect ne prendra de la valeur pour l’œil que lorsque leur nombre ira diminuant[3] » L’un des compatriotes de Rigby, parcourant la France pour son plaisir, traverse Amiens sans voir la cathédrale, dont il n’ignore pas l’existence,

  1. La Vie parisienne sous Louis XVI, p. 127-128.
  2. Lettres du docteur Rigby, 110.
  3. . Idem. Note de M. le baron de Maricourt.