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critique, l’un des derniers voyageurs intelligents parce qu’il eut la chance d’arriver encore, mais très juste, avant les chemins de fer : le moins de cicérones possible, des visites de monuments et des excursions solitaires, en interrogeant et examinant les gens du pays, en revivant l’histoire qui s’est passée là ou a pu s’y passer…[1] » Une ère de renouveau semblait naître ; les routes de France allaient connaître une prospérité et bénéficier d’un engouement sans précédent en leur histoire… Eh ! non : c’était l’heure fatidique marquée pour leur ruine.

On a conté bien souvent la résistance que certains hommes éminents opposèrent à l’envahissement des voies ferrées, soit qu’ils exprimassent leur conviction, soit qu’ils fussent gros actionnaires des Messageries Lafitte et Gaillard. Ce qu’on sait moins, c’est l’accueil fait par le public au nouveau genre de locomotion : il faudrait relire les pages ajoutées en appendice par les éditeurs à l’Histoire de Paris, de Dulaure, vers l’époque où était inauguré le chemin de fer du Pecq relies reflètent l’opinion des partisans résolus du progrès, bourgeois utilitaires et vaniteux de leur époque. La première locomotive, grêle chaudière mobile, si ridicule d’aspect avec son haut tuyau de tôle et ses maigres roues, est décrite comme un monstre puissant, roulant avec un bruit terrible, vomissant la fumée et la flamme ; et le tunnel des Batignolles dépasse en hardiesse tous les ouvrages fameux laissés par les Romains. Il était entendu que la nouvelle invention allait supprimer les frontières, rendre la guerre impossible et amener la fraternité universelle. Les poètes et les artistes la déclaraient, au contraire, « ridicule et inutile » et se lamentaient d’assister à l’agonie des vieilles choses. Alphonse Karr plaida hardiment la cause des diligences condamnées à mourir : il prononça l’oraison funèbre du plaisir aboli du voyage. La satire, qui date de 1844, est piquante ; il l’avait intitulée : de Paris à Rouen par le chemin de fer, impressions de voyage. D’abord, c’est le départ dans le coupé de la voiture des Messageries : il convient, en effet, de rappeler que, à cette époque, pour voyager en chemin de fer, on prenait la diligence aux bureaux de la rue Notre-Dame-des-Victoires : elle vous portait à la gare Saint-Lazare ; là, soulevée avec ses occupants, au moyen d’une grue, la caisse était placée et fixée à

  1. Les sources de V. Hugo et le Zeppelin humanitaire, par Louis Arnould correspondant de l’Institut. Le Correspondant, 25 juin 1918.