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reçut cette réponse significative : « Tout doit y passer, coupable ou innocent. » il fut arrêté avec les siens, contraint de regarder les cadavres des exécutés, et amené à l’endroit où l’on avait rassemblé presque tous les habitants, « cette bande de cochons, » suivant l’expression d’un officier allemand. De la forêt partirent des coups de feu. Alors arriva l’ordre de conduire vers Kingersheim cette « bande de pirates, » en mettant les civils des deux côtés de la route, et les soldats au milieu d’eux, afin qu’en cas de coup de feu, les civils fussent les premiers atteints[1].


L’affaire de Dalheim, petit village du canton de Château-Salins, qui s’appelait Dalhain avant 1871, fut aussi atroce que celle de Bourtzwiller. Même cruauté, mêmes assassinats. On sent vraiment que les soldats allemands sont persuadés, comme les chefs le leur ont dit, qu’en Alsace, ils se trouvent déjà en pays ennemi.

Pour Dalheim comme pour Bourtzwiller, une enquête précise fut faite, et, afin d’être sûr de ne rien ajouter aux crimes commis, je me bornerai à citer le plus souvent possible le rapport écrit après cette enquête.

Les troupes bavaroises qui, le 20 août 1914 au matin, avaient pris et pillé Marlhil, entrèrent à Dalheim, où elles agirent de même. Tout était bon pour elles. Elles ne respectaient rien. Des femmes et des jeunes filles furent violées… C’était le régime de la terreur.

Le 21 août, à la tombée de la nuit, quelques coups de feu

  1. Voici, d’autre part, quelques détails supplémentaires fournis par deux soldats allemands du 136e d’infanterie qui assistèrent à « l’affaire » et dont les déclarations sont consignées dans le rapport.
    « Le bataillon commença à visiter les maisons et à y mettre le feu sur l’ordre des officiers.
    « Sous les lits on amoncela de la paille et on y mit le feu, tandis qu’on incendiait aussi les granges. La population fut rassemblée et conduite à une forêt qui se trouve devant le village : il y avait des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards, et l’on ne laissait à aucun d’eux le temps de s’habiller. Les femmes, les mains levées, imploraient la pitié des soldats, mais ceux-ci leur répondaient en les menaçant de leurs baïonnettes. Des hommes étaient aussi emmenés, parce qu’on prétendait avoir trouvé des armes dans leurs maisons ; un d’entre eux doit avoir eu dans sa poche un revolver. Le capitaine Kühne (3e compagnie du 136e) ordonna à un autre témoin, qui n’avait pas la moindre envie de se montrer barbare, de mettre le feu à une maison. L’homme s’y refusa, parce qu’il ne pouvait le faire en qualité d’Alsacien et qu’il n’existait aucune preuve que les civils eussent tiré sur les troupes. Kühne n’insista pas davantage et n’inquiéta pas le soldat. Il fit même remarquer au commandant Trotz von Solz, qu’on prenait une grave responsabilité, si l’on faisait exécuter les civils et brûler le village. Mais le commandant exigea l’exécution complète de ses ordres. Il fit amener les cinq hommes qui avaient été condamnés à mort, parce qu’on les avait trouvé en possession d’armes, et les fit fusiller par les hommes de la 1re compagnie sur deux rangs. Les malheureux Alsaciens, calmes et résignés, sans qu’on leur eût attaché les mains et bandé les yeux, regardèrent courageusement la mort en face. Tous tombèrent morts à la première salve, exception faite pour un jeune homme de dix-sept ans, qui resta debout, et à qui deux ou trois soldats durent donner le coup de grâce. Le commandant du 1er bataillon, les commandants Derichs de la 1re compagnie et Kühne de la 3e assistèrent à l’exécution. Les femmes et les enfants furent contraints de passer devant les cadavres qui gisaient dans une mare de sang, ainsi que ce triste spectacle se gravît bien dans leur mémoire…