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lorsque a guerre éclata. Il était inévitable qu’elle leur fît l’effet d’un fratricide auquel on les forçait de coopérer malgré eux. C’est en songeant à la communauté du sang slave que les mobilisés de Prague chantaient avec une douloureuse ironie : « Il nous faut marcher contre les Russes, nous ne savons pas pourquoi. » Un peuple, qui ne sait pas pourquoi il marche, ne marche pas longtemps, et ne marche pas droit : les Tchèques l’ont bien fait voir. Nous avons déjà raconté les innombrables capitulations qui, peu à peu, ont vidé les tranchées autrichiennes au profit des camps russes, les défections de ces régiments qui passaient avec armes et bagages, et musique en tête, dans les rangs des ennemis. Dans les deux premières années de la guerre, près de 600 000 Tchèques ont été envoyés sur le front oriental, et plus de la moitié se sont, rendus ou fait prendre, — uniquement parce qu’ils ne voulaient pas combattre leurs frères slaves.

Car on ne peut à ce propos les taxer de lâcheté, comme la presse allemande ne s’en est pas fait faute. La preuve, c’est qu’à peine débarrassés, par leur reddition volontaire, de la nécessité de combattre pour l’Autriche contre la Russie, beaucoup d’entre eux se sont offerts spontanément à combattre pour la Russie contre l’Autriche. Dès 1915, vingt mille anciens prisonniers tchèques, servaient dans l’armée russe ; ils servaient comme éclaireurs, sur tout le front, dans des postes de confiance où il fallait des hommes énergiques et sûrs : c’est assez dire en quelle estime les tenaient leurs nouveaux chefs. Pendant deux ans, l’œuvre de recrutement s’est poursuivie dans les camps de prisonniers, sans violence, sans pression, par la seule force persuasive de l’appel au sentiment national tchèque. Les représentants du Conseil National, Mr Masaryk et M. Stefanik s’y sont employés de tout leur cœur et avec plein succès. Bientôt l’effectif passait d’une division à un corps d’armée, puis à deux. Sans qu’il nous soit possible de donner ici des chiffres rigoureux, on peut dire que plus de la moitié des prisonniers tchèques et slovaques se sont transformés en combattants volontaires.

On pensera sans doute que c’est une proportion fort élevée, et il est certain, qu’à elle seule elle constitue un témoignage éloquent des sentiments slaves et anti-allemands des Tchécoslovaques. Oserons-nous dire cependant, sans nous faire accuser de paradoxe, qu’elle aurait pu, qu’elle aurait dû être plus forte