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Non seulement cette double victoire de la Marne et de la Somme flatte nos désirs et berce nos espoirs, si elle ne les comble pas; non seulement elle nous enflamme, mais elle satisfait également notre esprit, ainsi qu’une victoire de l’art sur le métier et de rame sur la mécanique. Disons, sans périphrase, que la manœuvre de Foch est une belle chose, et qui nous semble une belle chose bien française, très simple, très claire, où la stratégie apparaît faite surtout de bon sens, d’opportunité, de suite et de mesure. Pour l’admirer, il n’est pas nécessaire d’en connaître les règles, ni d’en démonter et remonter les ressorts; il suffit d’en sentir vivement la vertu et la qualité. Or, il n’y a pas un Français, fût-il le moins militaire des hommes, qui, dans la manœuvre du maréchal. Foch, ne sente la vertu française. De l’Aisne à la Marne, et de la Marne à la Vesle et à l’Aisne, puis de l’Ancre à la Somme et à l’Oise, en ses différents actes, en ses diverses perspectives, c’est une tragédie classique, c’est le jardin de Versailles : c’est de la raison, c’est de l’ordre. Aussi ne nous contentons-nous pas de sentir; nous nous imaginons comprendre, et nous en sommes heureux comme d’une revanche que le génie français se devait.

L’Allemagne commence à sentir, comprend mal, ou ne comprend pas, est troublée et mécontente. Tout le monde, en Allemagne, n’ignore plus tout à fait tout. Il n’a pas été possible d’y cacher complètement la seconde bataille de la Marne, de même qu’on y avait escamoté la première. On était parti pour cette bataille, qu’on voulait et qu’on promettait décisive, avec une solennité qui ne souffre pas les excuses. Les instructions elles-mêmes en portent témoignage. « La 1re, la 3e, la 7e des années impériales, prescrivait Ludendorff, attaqueront l’ennemi sous le commandement de Son Altesse Impériale le Kronprinz. Sa Majesté l’Empereur assistera à la bataille. » Et nous avons appris, par les confidences, souvent puériles et ridicules, de l’historiographe officieux Karl Rosner; qu’en effet l’Empereur y a assisté, de sa tour. C’était donc parfaitement, dans la pensée des chefs qui l’ordonnaient et du souverain qui l’encourageait, le dernier effort, l’effort final par lequel le sort de la guerre devait être fixé, et le nom dont on le désignait le disait assez : Friedenssturm, l’offensive de la paix. A présent que la bataille a été livrée et perdue, il faut en rabattre, mais on en rabat trop.

L’abondance et la contradiction des explications trahissent un embarras dont on n’arrive pas à se tirer. Il semble qu’il se soit formé deux courants, l’un que nous appellerons a de la Cour, » et l’autre,