Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

air sur le piano. A première vue, je jugerai s’il doit être bon ou mauvais. » M. de Dietrich fut frappé de la beauté de cet air ; il fit aussitôt chercher sa femme, qui était encore au lit, et lui dit d’écrire tout de suite aux convives du souper de la veille de venir déjeuner chez lui, car il avait quelque chose d’important à leur communiquer. Tous y vinrent, croyant qu’il avait reçu des nouvelles du combat livré par Luckner et La Fayette. Il ne voulut satisfaire leur curiosité qu’à la fin du déjeuner, où le Champagne fut versé de nouveau. Il entonna lui-même l’hymne de guerre à pleine voix et produisit un effet admirable. Cet hymne reçut alors le titre de Chant de guerre de l’armée du Rhin. « Ce fut, a dit Michelet, comme un éclair du ciel ! Tout le monde fut saisi, ravi… Tous reconnurent ce chant, entendu pour la première fois. » Et Lamartine ajoute : « C’était de l’héroïsme chanté ! »

Les lecteurs de cette Revue n’ont pas oublié en quels vers entraînants Edmond Rostand a décrit la naissance et le vol de la Marseillaise :


Et lorsque retentit le magnifique : « Aux armes ! »
Le clair salon put voir, à cette grande voix,
Tous l’es Français debout pour la première fois…


Quatre jours après, les musiciens de la Garde nationale à Strasbourg l’exécutèrent sur la place d’Armes, où une parade militaire de la garnison avait lieu devant un bataillon de Saône-et-Loire nouvellement arrivé.

Je tiens à remarquer maintenant que si ce chant admirable devait perdre son titre initial de Chant de guerre de l’armée du Rhin, il aurait dû s’appeler la Strasbourgeoise et non pas la Marseillaise, nom qu’il a gardé cependant et qu’il gardera toujours. Qu’il me soit permis de le regretter, et voici pourquoi.

Il y a là une application peu ordinaire du Sic vos non vobis. Ainsi, il a suffi que, deux mois après, un ténor de talent, nommé Mirens, ait connu cet hymne et l’ait chanté d’une voix retentissante à Marseille pour qu’il devînt aussitôt populaire et méridional ! Comme Rouget de Lisle ne lui avait pas donné de titre précis, lorsque les Volontaires marseillais vinrent à Paris pour la fête de la Fédération le 20 juillet 1792 et le chantèrent avec leur fougue naturelle, le peuple enthousiasmé l’appela l’Hymne des Marseillais, puis la Chanson des Marseillais, et