Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/272

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à tout l’auditoire. « Je demande justice, dit-il, et je pense trop de bien de l’équité de mes juges pour ne pas l’attendre avec confiance. Si cependant, par la violence ou les artifices de mes ennemis, mon espérance venait à être trompée, leur injustice ne me rendra pas injuste. Sous le fer des bourreaux comme sous le poignard des assassins, je formerai encore des vœux pour ma patrie et pour la liberté. Ils auront beau faire. Ils seront plus à plaindre que moi, car quel que soit le sort qui m’est réservé, ils ne pourront m’ôter ni l’estime des gens de bien, ni une conscience irréprochable, ni la paix de la vertu. Quelle que soit leur destinée, ils sont condamnés à vivre et à mourir avec la haine publique, l’agitation du crime, leur conscience et leur remords ; je suis trop vengé[1] ! »

Dietrich rédigeait ainsi le jugement de la postérité qui devait suivre, — non pas celui de Besançon puisqu’il fut acquitté, — mais celui du tribunal révolutionnaire de Paris.

Le malheureux avait tout prévu. Un mois avant de comparaître devant ses juges, le 7 février, il laissait à son vieux père, à sa femme, à ses deux fils, le plus émouvant des testaments, dans lequel il redoutait, malgré un acquittement probable, quelque acte de violence contre sa personne. Il s’attendait à de grands malheurs pour la France. Il déplorait le délabrement de sa fortune et se plaignait de ne pouvoir faire face à des engagements sacrés. Il tremblait enfin pour le sort des siens. Il suppliait ses enfants de préserver leur mère des horreurs de la misère et des privations qui la menaçaient. Il leur disait encore : « Vous connaissez ma conduite politique et mes sacrifices. Vous avez vous-mêmes consenti que je les fisse à la Patrie. Eh bien, aimez-la toujours ! Etouffez, à l’approche du danger qu’elle court, le cri de la nature ! Ne vous en prenez pas à elle du tort de quelques scélérats qui auront immolé votre père… Vengezmoi en continuant à la défendre avec la plus intrépide bravoure ![2] »

Le 6 mars, Dietrich comparut devant ses juges et, pendant cinq heures, prononça et établit éloquemment sa propre défense. Il finit en souhaitant que la Patrie put trouver des citoyens plus heureux que lui, mais il était sûr qu’elle n’en aurait jamais de plus fidèles. Un verdict d’acquittement sur tous les points

  1. Frédéric de Dietrich à ses concitoyens. Mémoire.
  2. Cf. Louis Spacb, p. 116.