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mitaines aux mains, Mme Mérimée était immuablement assise dans une grande bergère, entourée de ses chats, — Mérimée en avait la folie, comme plus tard Baudelaire, et aussi Hugo : le chat est romantique. Dans le petit appartement sombre, à mi-voix, Mme Mérimée et Mme Buloz chuchotaient… Pendant ce temps, la petite fille blonde, qui avait la permission de toucher aux bibelots dont l’appartement était encombré, se glissait le long des meubles et des vitrines, qu’elle entr’ouvrait sans bruit : une odeur de fleurs séchées s’échappait. Il y avait là des choses qui ravissaient l’enfant : des bonbonnières d’écaille transparente, ornées de portraits de messieurs poudrés et de dames entourées de grands fichus, comme la maman de Prosper ; de petits animaux de Saxe, — elle les caressait doucement, — de petits carnets, des « Souvenirs », des « Almanachs du roi », et encore des nécessaires de nacre enchâssés dans des étuis de velours vert. Il y avait aussi de grands coquillages roses, qui ressemblaient à des bonnets tuyautés…

Mérimée, collaborateur de la Revue de Paris, y publia ses premières œuvres… il y obtint même, avec Le Carrosse du Saint-Sacrement, en 1829, le désabonnement de la duchesse de Berry ! Il n’apporta les Ames du Purgatoire à la Revue des Deux Mondes qu’en 1834.

A l’époque des visites de Mme Buloz à Mme Mérimée, « Prosper, » plus âgé, est membre de l’Académie, inspecteur des Monuments historiques ; il a écrit La Chronique de Charles IX, Colomba, et Arsène Guillot : il est célèbre. Comme il est constamment en voyage, les noms de pays lointains passent dans les conversations : les Thermopyles, Rome, l’Espagne. Mais, de même que Sainte-Beuve, Mérimée ne « veut pas être dupe des enthousiasmes tout faits ; » d’ailleurs il ne veut « être dupe de rien. » La petite Marie Buloz entend tout cela ; elle entend parler du discours à l’Académie, de l’éloge de Nodier, dont Mérimée s’occupe, de Besançon, autre voyage qu’entreprend Prosper ; elle éprouve un grand respect pour lui, un peu de peur aussi : un jour, elle se faufilera dans sa chambre vide, verra sa lampe préparée sur la table de travail, puis se sauvera éperdue…

Prosper Mérimée, pincé, souriant peu, n’était pas pour la petite fille un ami comme l’étaient Sainte-Beuve, Jules Janin, le doux Sandeau, ou même M. Babinet. M. Babinet ! Savant excellent et parfois rude ! Mais il adorait les enfants et était