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montagneux, à l’aspect rude et brûlé des hauts plateaux espagnols ou africains, et qui se continue sans transition par une vallée plus élevée et plus humide, d’une verdoyance tout alpestre, — la région de Mont-Louis et du col de la Perche, — pour aboutir à la grande beauté classique du Gonflent et des Pyrénées orientales et aux gigantesques et harmonieuses architectures du Canigou, — le Canigou père des plaines fécondes du Roussillon, aux flancs garnis de végétations brillantes et magnifiques, tel un buffet royal tout chargé de fruits et de vins, tout reluisant de vaisselles et de cristaux : montanyas regaladas, comme ils disent ici.

En somme, la Cerdagne est une région méditerranéenne, malgré la rigueur de ses hivers et la fraîcheur un peu vive de ses étés. Pendant la belle saison, il n’y pleut presque jamais. Ce n’est point l’ambiance aquatique des Pyrénées occidentales, où les Hyades chagrines de l’Atlantique déversent sans cesse leurs seaux pleins d’averses et de bruines.

Et ce n’est point non plus le pays désolé qu’on avait cru d’abord, à se laisser prendre le regard par les lignes si nobles des sommets. Ces vastes étendues sont toutes bariolées de cultures, de forêts de pins, de bouquets de peupliers, de hameaux, de villages, de petites villes aux frustes, murailles uniformément grises, aux toits écrasés de larges feuilles d’ardoise, avec la tour carrée de leurs campaniles surmontés d’une pyramide de pierres, — et leurs noms âpres et sonores : Planés, San Pere dels Forcats, Eyna, Bolguer, Odello, Err, Llo, Osseja, Llivia, Hix, Puygcerda… Celle-ci est la première ville espagnole de ces marches, l’antique capitale de la vallée cerdane coupée en deux tronçons, depuis Louis XIV, par la nouvelle frontière. Du haut de sa butte, visible de tous les points de la plaine, serrée autour du clocher trapu de son église, Puygcerda domine la Cerdagne entière. A elle seule, elle suffit à donner une teinte espagnole et romantique à cette région montagneuse presque aussi éloignée de Madrid qu’elle l’est de Paris.

Quand on a une fois erré à travers ses rues aux maisons tout de guingois avec leurs balcons affaissés, à travers ses ruelles abruptes, sillonnées de ruisseaux, d’immondices, ces bizarres petites ruelles qui sentent à la fois l’ordure et le chocolat, on ne peut plus l’oublier, tant la physionomie en est rude et singulière. C’est là qu’on voit pendre aux devantures de petits