Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/341

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

races royales de conquérants si vite abâtardies, si vite corrompues par la facile vie méridionale.

Je voudrais qu’on les gardât pieusement, ces Vierges. Cette tribu, éparse dans des églises qui tombent en ruine, devrait être, je ne dis pas réunie dans un musée, mais soigneusement cataloguée pour l’édification et l’enseignement des archéologues et des historiens, de tous ceux qui s’intéressent à la vie religieuse du passé. Qu’on aille les visiter dans leurs chapelles restaurées. Costumées à la moderne, elles sont encore capables d’exciter la piété des foules. Mais il faut qu’elles restent là, dans leur barbarie et leur rusticité natives, près du col pyrénéen dont elles ont défendu l’entrée contre l’assaut de l’Infidèle, près du castel démantelé, dont elles ont puni ou récompensé les durs seigneurs. Ainsi elles sont des témoins tragiques de l’histoire. Elles racontent les vicissitudes de la province : la mêlée des peuples dans cette Cerdagne si longuement disputée, les féroces ambitions aux prises et finalement la paix achetée au prix de tant de luttes et de sang versé.


Comme à notre Lorraine, la paix fut donnée à la Cerdagne par la monarchie française. Nos marches du Sud furent constituées à peu près au même moment que nos marches du Nord et de l’Est. Elles sont l’œuvre de ce Louis XIV, que des historiens, pénétrés malgré eux des jalousies et des rancunes germaniques, ont accusé de mégalomanie, et dont le nom résume le persévérant et pénible effort des quelques ouvriers de génie qui, avec lui et avant lui, ont préparé et fait la France.

Cette paix française ne fut pas subie sans résistance par les Cerdans. Seulement, elle eut le mérite de durer plus de cent ans et d’être bienfaisante. C’est pourquoi elle sut se faire accepter. Les Cerdans, qui, d’ailleurs, n’avaient aucune raison d’être Espagnols, devinrent d’excellents Français, — et c’est justice. L’unité nationale ne se conçoit que si elle crée une sécurité et une prospérité plus grandes. Du jour où ses inconvénients remportent sur les avantages qu’elle procure, elle est sérieusement compromise : le régionalisme et le socialisme apparaissent, avec leurs revendications de classes ou de provinces.

Incontestablement, la Cerdagne prospéra au cours du XVIIIe et même du XIXe siècle. Pendant cette longue période de repos,