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naturellement religieuse. Mais des circonstances historiques particulières ont favorisé en outre ces dispositions naturelles et donné à l’art catalan un essor et un développement que l’on ne constate point ailleurs.

Rien ne le prouve mieux que la floraison extraordinaire de l’architecture romane dans toute cette contrée qui est au pied des monts. On ne le sait pas assez, même dans les milieux archéologiques : il n’y a pour ainsi dire point de village ou de hameau des Pyrénées-Orientales qui ne puisse montrer une vieille église romane ou tout au moins, encastrées dans des constructions plus modernes, des parties authentiques et très anciennes d’architecture romane. Les retables aux précieuses peintures archaïques foisonnent même dans les campagnes les plus reculées. A en juger par le peu qu’il en reste, le mobilier sacré dut y être d’une richesse extraordinaire. Récemment, à l’église d’Hix, comme j’examinais, dans le chœur, un curieux bas-relief représentant, je crois, un épisode de la vie de saint Martin, j’aperçus, négligemment posé sur le rebord de la boiserie, un petit crucifix d’une forme et d’une exécution originales, que seul un antiquaire pourrait dater : il suffisait d’étendre la main pour le prendre. L’église étant constamment ouverte, toutes les raretés qu’elle renferme sont ainsi exposées aux convoitises du premier passant.

Ailleurs, si l’église est fermée, elle est dans un état d’abandon lamentable. Les boiseries des retables moisissent à l’humidité, les peintures s’écaillent, les statues de bois s’écornent et se pourrissent, certaines parties des édifices se lézardent et menacent de s’écrouler, quand elles ne sont pas totalement en ruine. Le service des monuments historiques aurait fort à faire ici, s’il n’était occupé en ce moment dans les régions envahies, où il ne suffit pas à la tâche. Pour conjurer le désastre, il faudrait une conspiration amicale du clergé et du gouvernement. Des deux côtés, on dresserait l’inventaire des richesses d’art ou des curiosités qui, par miracle, ont survécu aux rapines et aux destructions. On les replacerait dans leur cadre antique, restauré par une science exacte et scrupuleuse. Ces églises romanes des Pyrénées-Orientales deviendraient ainsi de véritables musées sacrés. En attirant de plus en plus les archéologues, elles les aideraient peut-être à débrouiller le mystère qui enveloppe encore les origines de l’art roman, à retrouver les chaînons