Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 47.djvu/512

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que pour les camoras et les manches, et semblable était l’illustre Madame Bianca, fille (naturelle) du seigneur Lodovico, sans différence aucune. Les haquenées toutes blanches et très belles étaient toutes garnies de salin vert, tant comme harnachements que comme housses. La majeure partie de leurs demoiselles étaient coiffées de cornes à la française, avec les longs voiles de soie pendant jusqu’à terre, mais sans joyaux. Toutes étaient sensiblement vêtues de vert, soit en damas, soit en satin, soit en zendali vert. Elles étaient environ quarante et les bouquets ayant été ramassés avec grande joie et pompe, on s’en retourna à la maison pour dîner.


Ici, nous apercevons une occasion que n’ont plus les femmes de déployer leurs toilettes. Parmi les plaisirs que l’humanité, chemin faisant, a laissé perdre, il n’en est pas de plus vif, de plus obsédant, ni de plus entièrement disparu que la chasse au faucon, avec tout son apanage : oisellerie, volerie, dressage de chiens, langage spécial ou argot précieux, dont tant de mots ont passé dans notre langage usuel. Ce fut, durant des siècles, le sport-type des hautes classes sociales, l’engouement, la passion sans rivale, le signe sensible de la gentilhommerie, la seule science où un roi se fit honneur d’être versé, le seul sujet qu’on pût traiter indéfiniment sans pédanterie ni satiété. C’était aussi un plaisir des dieux. On le figurait autour de la crèche, dans les ciels des Visitations et des Nativités. Il n’est pas rare, quand on regarde une Adoration des Mages, chez les Primitifs, de voir, dans le bleu pur qui devrait être réservé au seul vol des anges, un faucon liant un milan ou assaillant un héron, au risque d’être transpercé par son long bec pointu :


Qui auroit lors la mort entre les dents
Il revivroit d’avoir tel passe-temps !


s’écrie un bon chanoine du XVe siècle.

Nous ne savons si nous y prendrions le même plaisir. Mais sans conteste, nous avons perdu, là, un divertissement hautement esthétique. Qu’on se figure le défilé des cavaliers, deux par deux, le faucon au poing, perché sur le gant crispin blanc ; les dames en grand habit ajusté, ruisselantes de perles ; les meutes de dogues, de lévriers et de barbets, les pages et les valets de chiens, vêtus de couleurs vives, mi-parties, comme figures de cartes à jouer ; puis le rangement en ligne, la quête dans la