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et autres accessoires du vol. Les Sforza n’en tiraient point petite vanité. Car ces grands Mécènes étaient surtout de grands chasseurs et, en feuilletant leur correspondance, on aperçoit une chose que les historiens d’art nous taisent soigneusement : c’est qu’ils s’intéressaient infiniment plus à la vénerie qu’à la peinture.

Leurs terrains de chasse étaient immenses et peut-être les meilleurs de l’Europe, en tant qu’il s’agissait de chasses aménagées et entretenues. Quand on se promène en Lombardie, dans cette vaste plaine arrosée par le Tessin et ses affluents et une multitude de canaux, autrefois très boisée, si l’on parcourt le triangle formé par Milan à l’Est, Novare à l’Ouest et Pavie au Sud, on rencontre, à tout instant, de massives constructions du XVe siècle, à figure de châteaux forts ou de maisons fortes, devenues des fermes, des écoles ou des prisons. Ce sont les anciens rendez-vous de chasse de Ludovic le More : Pavie, Vigevano, Abbiategrasso, Bereguardo, Cusago, Binasco, Galliate et bien d’autres moindres. Ces châteaux, demi-palais, demi-forteresses, parfois fermes modèles comme la Sforzesca, hantés par la grande ombre de Léonard de Vinci, dressaient alors leurs créneaux au milieu de parcs abondamment fournis de chevreuils, de bouquetins, de lièvres, de perdreaux, qu’on faisait venir, lorsque besoin était, de Domodossola, du lac Majeur et de la Valteline. Dans le seul parc de Pavie, ondulé, boisé, traversé par deux rivières, on estimait à cinq mille têtes la population errante et galopante des cerfs, des daims et des chevreuils. Les sangliers ne manquaient pas. Les lapins se terraient en foule ; les faisans foisonnaient dans les halliers ; les cailles pépiaient dans les champs ; les hérons, les canards et les autres oiseaux de rivière clabaudaient sur les rives poissonneuses ; les cygnes glissaient sur les eaux lentes. Mille sortes de fumets délicieux et d’odeurs éparses dans l’air sollicitaient les narines mobiles des chiens en quête. C’était le paradis des chasseurs : — un paradis perdu aujourd’hui, car la chasse est un des rares domaines, le seul peut-être, que le progrès n’a nullement enrichi, mais plutôt appauvri, la diversité des espèces de gibier, dans notre Europe occidentale, diminuant chaque jour. Il était donc naturel que les Sforza eussent la passion d’un sport qui leur était si facile.

Les femmes avaient une autre raison pour s’y jeter à corps