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marchand de cuirs à Leipzig. Telle est l’équipe chargée de rédiger ces « Correspondances des pays envahis, » ces « Lettres ouvertes, » ces « Réflexions d’un évacué, » émanant de prétendus habitants des régions occupées, et qui sont, avec leurs phrases hérissées de germanismes, d’incroyables monuments de révoltante bêtise.

Pendant un mois, la Gazette des Ardennes a été seulement hebdomadaire. Dès le mois de décembre 1914, le Grand Quartier allemand soignait sa diffusion et la faisait paraître deux fois par semaine. On imposait des abonnements aux communes, proportionnellement à leur nombre d’habitants ; on obligeait des vieillards, des femmes et des enfants à se faire « camelots » et à crier la Gazette dans chaque bourgade. Mais ces moyens ne suffisent pas. La feuille allemande ne tire pas à plus de 4 000. Brusquement, à la fin de mars 1915, la Gazette annonce que son tirage atteint 38 000 exemplaires. Il est certain qu’on avait trouvé le moyen de la faire vendre, même et surtout au public français des zones envahies, en publiant les listes de nos soldats prisonniers en Allemagne, avec l’indication des camps où ils étaient internés. A partir de ce moment, la Gazette des Ardennes est « lancée. »

Sa direction en profite pour rendre le journal plus intéressant. La Gazette publie des feuilletons ! Elle les choisit avec une sorte d’éclectisme apparent qui cache une méthode sournoise. D’avril 1915 à octobre 1916, la série est particulièrement pittoresque. Le G. Q. G. allemand offre aux habitants des départements envahis la lecture de : La Guerre qui tuent, de F. Delaisi ; Une histoire de Parisien, d’Alfred Capus ; Les Prisonniers, de Maupassant ; Un scandale à la Chambre, de Jean Drault ; Marions Jean ! de Colette Yver ; Le Crime de la rue Morgue, d’Edgar Poe ; Piège à baigneur, de Masson-Forestier ; des extraits de l’Énigme allemande, de Georges Bourdon ; la Guerre fatale, du capitaine Danrit (le portrait de l’auteur, le colonel Driant, député de Meurthe-et-Moselle, tombé au bois des Caurières, paraît dans la Gazette du 14 avril 1916) ; La Victoire, de Paul Acker ; Le sous-marin « Le Vengeur, » de Pierre Maël.

Mais ce cambriolage littéraire, impudemment exercé, ne permet pas encore d’atteindre le but souhaité, car la Gazette des Ardennes se met, un peu plus tard, à démarquer les journaux spéciaux publiés à Paris et en province par les réfugiés. Elle y prend tous les renseignements d’ordre personnel qui